Le père d’Alireza ne se fait pas à la vie française. Animé par une farouche envie de retour au pays, il décide unilatéralement de repartir en Iran. Leur mère, soucieuse de ne pas perdre tout ce qu’elle est parvenue à reconstruire, prend la décision de rester en France. C’est le début d’une longue séparation qui durera quatre années.
Les jours passent. Le manque se fait de plus en plus ressentir des deux côtés. Le doute et les regrets viennent s’ajouter au vide. En effet, le père de famille commence à s’interroger sur les perspectives d’avenir que l’Iran peut offrir à ses enfants. Il envisage alors un retour vers l’Hexagone.
Cependant, les autorités iraniennes ne l’entendent pas de cette oreille. La législation locale contraint tout enfant âgé de 12 ans à effectuer son service militaire. En France, les lois relatives à l’immigration se durcissent. ( N.D.L.R : Loi Pasqua-Debré concernant les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, dite « loi Pasqua » en référence au ministre de l’Intérieur alors en fonction, Charles Pasqua ) « L’Iran ne voulait plus me laisser partir. Quand vous êtes de nationalité iranienne et que vous êtes un garçon, vous êtes supposé rester jusqu’à 18 ans et faire votre service militaire. Même si l’Iran acceptait de me laisser partir, la France ne voulait plus me laisser rentrer. » À la suite d’un plan dûment élaboré, il parvient finalement à retourner auprès de sa mère et à regagner Paris.
Nous sommes en 1994, Alireza intègre l’une des classes de 3e du collège Georges Duhamel (Paris 15e). L’adolescent est en proie à de nombreuses difficultés et ses facilités en maths ne suffisent pas à combler le retard accumulé dans les autres matières. « On m’avait proposé un CFA de maréchal ferrant. Je n’ai pas de passion particulière pour les animaux. J’étais à l’aise avec les chiffres, on m’a inscrit en BEP comptabilité. BEP de deux ans que je finis en un an. Après ça, je fais une première d’adaptation. »
Au même moment, la vie du jeune homme prend un triste tournant. « Nous sommes au mois d’août, ça fait un an et demi que je n’ai pas vu mon père. Ce jour-là, il m’appelle et il me dit qu’il arrive 4 jours plus tard à Paris. Le lendemain, ma mère nous annoncera son décès par infarctus. » À peine âgé de 17 ans, Alireza doit se rendre à l’évidence. Sa vie ne sera plus jamais la même. Il se met à chercher des petits boulots. L’aîné de la famille est convaincu qu’il doit aider sa mère à joindre les deux bouts. Il trouvera une occasion dans un Pizza Hut situé dans le 7e arrondissement. Il ne le sait pas encore, mais ce job, l’aidera à forger son ambition et réaliser en partie son rêve, « devenir quelqu’un ».
Dans le même temps, fort de son succès en BEP, il décide de passer un bac général. C’était sans compter sur la légendaire Madame O., proviseur de son lycée qui ne semble pas porter Alireza dans son cœur. « Il y avait du deal comme dans beaucoup de lycées des beaux quartiers. Cette dame voulait se persuader que j’étais le cerveau de la bande. J’avais le sentiment d’être injustement stigmatisé, mais je ne me suis jamais laissé abattre. »
Convaincu que cette dernière lui met des bâtons dans les roues, il s’y reprendra à trois fois avant d’obtenir le précieux sésame. Qui lui ouvrira les portes de la faculté de Droit. Une petite victoire, sa première grande victoire.
Illustrations : Stella Lory