Le franco-béninois Bertin Nahum est le fondateur de MedTech, une société créée en 2002 spécialisée dans la robotique médicale et revendue en 2016 au géant américain Zimmer. Depuis, il est sous les feux des projecteurs à l’international et a fondé en 2017 une nouvelle start-up : Quantum Surgical. Nous sommes partis à sa rencontre à Montpellier pour un entretien empreint d’inspiration.
*Argot : Vous avez été élu 4e entrepreneur le plus révolutionnaire au monde par la revue « Discoveries series ». On a déjà dû vous poser la question mais on vous la repose quand même : quel effet ça fait ?
Ça donne un sentiment de fierté avant toute chose. La fierté de voir son travail reconnu ! Un classement de ce type, c’est un peu comme l’Eurovision. Quand quelqu’un gagne l’Eurovision, personne ne pense que c’est le meilleur chanteur au monde. L’intérêt ce n’est pas tant le classement, c’est plutôt que des gens puissent considérer que ce que vous réalisez est suffisamment d’intérêt pour être mis en lumière.
C’est intéressant que vous fassiez allusion à l’Eurovision, car malgré le succès commercial de votre société Quantum Surgical, vous demeurez très peu connu du public français. Comment l’expliquez-vous ?
J’ai lancé ma première société, Medtech, en 2002. On avait créé un robot pour la chirurgie du genou qui aidait les chirurgiens à opérer des patients pour des poses de prothèse. Un gros groupe américain (Zimmer, ndlr) est venu nous solliciter. Ils souhaitaient racheter la société. Nous avions décliné l’offre à l’époque et opté pour une cession de portefeuilles de brevets. Cela a beaucoup fait parler de nous dans notre environnement local, car les gens étaient assez étonnés qu’un grand groupe vienne montrer son intérêt pour une petite start-up locale.
C’est un peu la même chose qui m’est arrivée avec ce fameux classement. Ça souligne qu’en France, il y a une créativité extrêmement importante. Parfois, nous français, sommes les derniers à nous en rendre compte. Nous en avons souffert dans notre développement. Nous sommes très rapidement partis à l’étranger (en Asie et aux États-Unis) pour vendre notre technologie. Et c’est au travers de cela que nous avons trouvé une certaine crédibilité en France.
Nous avons constaté que le thème de la diversité était très rarement associé à vos prises de paroles. Est-ce une volonté de votre part de vous mettre en marge de ces prises de position ou ce sont les journalistes qui n’osent pas forcément les aborder ?
Bien au contraire ! Pour faire simple, je pense que ma couleur de peau et mes origines sont essentielles dans ce que je suis et en même temps je trouve cela complètement anecdotique. Je suis heureux et fier que ma reconnaissance soit due à ce que je fais, et non à ce que je suis. C’est aussi comme ça qu’on réussira à combattre ce genre de préjugés racistes. Vous savez la frontière est assez tenue entre ne pas être défini qu’au travers de ma couleur de ma peau, et assumer la dimension d’exemplarité que peut représenter mon parcours. J’essaye d’être à la limite entre les deux pour ne pas tomber dans l’excès d’être uniquement l’entrepreneur noir de service ou d’un autre côté, celui qui renie complètement cette dimension-là. Il y a un certain nombre d’interview ou prise de parole que j’ai refusés parce que je ne voulais pas me faire enfermer dans quelque chose que je trouve réducteur.
Aujourd’hui vous avez vendu des centaines de robots qui ont permis des milliers d’opérations. Votre couleur de peau, elle aura été un atout ou un inconvénient dans votre domaine ?
Je suis tout à fait lucide par rapport aux préjugés qui existent. Loin de moi l’idée de dire que ça n’existe absolument pas. En même temps, la vie n’est pas faite que de ça. La difficulté est de ne pas s’enfermer dans une attitude défensive en considérant le monde comme hostile en raison de ce que vous êtes. Je pense que dans la vie les barrières les plus difficiles à franchir sont celles que l’on se fixe soit même.
Le 29 août 2017, le magazine CAPITAL a consacré un article aux pépites de la relève du digital à la française. Pour illustrer l’article, plusieurs personnalités emblématiques du milieu ont été convoquées. Seul problème : le casting est exclusivement constitué d’hommes blancs. Qu’est-ce que ça vous évoque ?
C’est une réalité ! Il ne faut pas appliquer une politique des quotas à toutes les situations de la vie quotidienne. Si on faisait réellement un panel de la French Tech, on se rendrait compte facilement qu’il y a une sous-représentation des minorités visibles, des femmes, des gens issus de la diversité. Pourquoi? Il faudrait déjà qu’il y ait plus de gens issus de minorités dans les écoles d’ingénieur, de commerce … C’est le bout de l’iceberg la polémique autour de cette photo. Pour les femmes c’est pareil. Quand vous allez dans une école d’ingénieur, vous avez très peu de femmes dans les cursus. La question c’est : pourquoi est-ce qu’il y en a si peu alors qu’il est prouvé qu’elles sont meilleures dans ce type d’études? Beaucoup de femmes considèrent que ça n’est pas fait pour elles ! C’est un problème de représentations. C’est tout le fonctionnement de la société qui est à revoir.
Si on vous donnait une baguette magique, qu’est-ce que vous changeriez sur l’échiquier de l’entrepreneuriat ?
L’État français pourrait être un formidable prescripteur pour le savoir-faire français. Je m’explique : chaque année, l’État brasse des centaines de millions, en commandes publiques diverses et variées et je pense que ces commandes publiques sont insuffisamment dirigées vers les entreprises françaises. Lorsqu’on a créé nos robots chirurgicaux, on les a vendus rapidement à l’étranger parce qu’on n’y arrivait pas en France. À Montpellier où nous sommes aujourd’hui, le CHU n’est toujours pas équipé d’un seul de nos robots alors que le monde entier en a achetés.
On a tendance à « faire les choses petit ». D’un seul coup quand on doit « faire grand », on est un peu déboussolé. C’est comme quelqu’un qui fait du vélo et qui part à un petit braquet, il mouline à toute vitesse, il est très bon. Mais quand il faut passer à la vitesse supérieure, il s’essouffle. Alors que l’Américain va partir sur un gros braquet. Au début, il est peut-être moins rapide, mais quand il faut se lancer c’est un rouleau compresseur.
Après il y a une dimension financière qui représente une autre réalité. Il faut pouvoir être capable de lever des capitaux et nous n’avons pas d’écosystème financier pour accompagner correctement nos entreprises.
Y’a-t-il eu, depuis votre lancement en 2002, une évolution dans l’état d’esprit de l’entrepreneuriat en général ?
Absolument ! Le changement je le situe y’a 4 ou 5 ans. D’un point de vue politique, c’est autour de Fleur Pellerin qui a été à l’initiative de la French Tech, etc. Il y a eu une prise de conscience et tout l’environnement a changé. La situation des start-ups en matière d’accès aux capitaux est incomparable par rapport à 2002. Exemple imparable : aujourd’hui la quasi-totalité des banques ont toute un pôle innovation. Elles ont des conseillers spécifiquement dédiés pour traiter avec des entreprises innovantes. Moi ça n’existait absolument pas quand je me suis lancé. Les choses vont dans le bon sens.
Pourquoi à Montpellier et pas ailleurs ?
Je suis lyonnais à l’origine mais quand j’ai eu mon projet d’entreprise, j’ai eu envie de venir ici. Il y a un écosystème incroyable ! Regardez là-bas, vous voyez Cap Omega? Ils ont été classés 4e incubateur mondial en 2014. Il y a une quinzaine d’années, les politiques ont décidé de jouer la carte de l’innovation. Ils ont investi dans des incubateurs, des pépinières d’entreprises. Aujourd’hui, on en récolte les fruits parce que Montpellier est surreprésentée dans le palmarès des entreprises innovantes.
Si vous deviez partager un Kebab avec quelqu’un de mort ou de vivant, qui choisiriez-vous ?
Obama pour ce qu’il a été en mesure d’envoyer en tant qu’homme politique est absolument extraordinaire. Même si on sait ce qu’il en est advenu derrière… Obama c’est l’exception.
Interview : Abiola Obaonrin
Photos : João Bolan