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Chérif Sobgho, ex-boxeur pro devenu coach, esquive les coups durs et propose un joli credo qui a son petit succès sur la toile. Auto-entrepreneur, il jouit aujourd’hui d’une certaine réputation en région parisienne, et organise de grands entraînements collectifs gratuits. Portrait d’un type drogué au sport à la motivation communicative. 

« Un décalage, un coup au corps et je reviens » gueule l’entraîneur. Les mômes sont appliqués dans la petite salle du Boxing Club du Ie et IIème arrondissement de Paris. Ils répètent leurs gammes consciencieusement. Ça sent le cuir des sacs de frappe et la sueur chaude. C’est dans ce genre d’ambiance qu’on peut espérer rencontrer Chérif Sobgho, ex-boxeur professionnel et coach multi-fonctions, qui a inventé une marque-concept, OSFOSE, acronyme pour « On s’en fout on s’entraîne ». L’homme est bien là, à l’heure convenue, dans le petit bureau planqué face à l’un des deux rings situés à même le sol. Il accueille et renseigne les visiteurs, en attendant l’arrivée de Séverine Forestier, aka « La Mouette », une boxeuse qu’il entraîne en vue d’un tournoi en Suède.

La voix est grave et posée, le ton est calme. Le discours structuré. Le corps puissant, athlétique et félin. 1 mètre 81 de muscles ni trop lourds ni trop fins. Le sourire est franc, le regard direct et doux. Les petites lunettes sur le nez cabossé lui filent quelques années de plus qu’il n’en affiche au compteur. Chérif a 28 ans et la sagesse des mecs qui ont tâté du ring et en sont sortis grandis. Il voit le jour à Cergy Saint Christophe (95), mais n’y passe que peu de temps. Très vite, sa mère déménage à Paris, dans le XIIIème, où il grandit biberonné au basket et au judo : « J’étais plus sportif qu’autre chose, j’avais pas le temps de faire des conneries ». La boxe, il la découvre à 17 ans, après un voyage chez son oncle, en Tunisie. Ce dernier était un cogneur professionnel. L’ado découvre les coupures de journaux qui évoquent ses combats, et tapote dans le sac de frappe du tonton. « Il me montrait des trucs… Il avait 50 ans et encore la pêche ! À 17 piges, t’as envie d’être costaud, tu cherches la virilité. Nous, dans le basket, on flambait, on mettait des baggys, on avait des tresses. En le voyant, je me dis, je vais peut être tenter la boxe. En rentrant j’ai fait un cours d’essai. J’ai jamais autant souffert de ma vie ».

Un an plus tard, Chérif est sur le ring de Pouchet à Paris (le temple des amateurs), pour sa première compétition. En parallèle, il passe son bac littéraire. « Je révisais mes cours, j’allais m’entraîner pour préparer mon combat. La finale tombait une semaine avant le bac ». L’emploi du temps est lourd, mais le boxeur reconnaît, malicieux, certains avantages : « Au lycée, c’est super, t’as une côte d’enfer. T’es pas mauvais élève et en même temps, t’as ton truc sportif. Tu reviens avec de petits coquards. Avec les filles c’est top ». Chérif réussit l’examen et remporte la compétition. La porte est ouverte pour les études supérieures et une carrière de boxeur. Il devient éducateur spécialisé. « J’ai travaillé dans la protection de l’enfance, dans le secteur du handicap, en placement familial… J’ai aussi évolué dans un service éducatif en milieu ouvert, une maison de protection de l’enfance. Les familles venaient sous mandat judiciaire et nous travaillions ensemble en lien avec les écoles et les médecins ». Un job éprouvant, en parallèle de sa carrière de boxeur. En 2013, Chérif décide de devenir professionnel. Il passe aussi son diplôme d’entraîneur, qu’il obtient en 2014. « En tant que boxeur, j’étais une locomotive, je boostais les autres ».

Une anecdote en dit long sur le garçon. Il a la « chance » d’aller faire sa préparation avant de passer pro à Las Vegas, dans le camp d’entraînement de Mayweather pendant 3 semaines. « Je me suis retrouvé à mettre les gants avec des mecs qui préparaient des championnats du monde ». Deuxième jour, son coach propose un entraînement « à la cool » avec J’Leon Love, un espoir invaincu à l’époque. L’anglais du coach est mauvais, les mecs d’en face ne pigent pas tout, mais se croient défiés. Mayweather en personne vient voir Chérif : « Si tu boxes mon gars, ça va être chaud pour toi ». Le « sparring », comme on dit dans le jargon, commence. Ça frappe. Au deuxième round, le nez de Chérif est fracassé. Pas question d’annuler la préparation. Trois jours après, Chérif est sur le ring. « Là-bas, c’est ‘the dog house’. Tu dois te faire ta place, c’est le chenil ». Aujourd’hui, il dirait certainement « On s’en fout on s’entraîne ». Passé pro, Chérif boxe tout le monde. Un combat au pied levé ? Ok. Le tout en même temps que son activité d’éducateur. Après 9 combats, en 2016, il remarque une perte de vue progressive. « Je fais un fond d’œil chez l’ophtalmo, et il découvre un décollement de la rétine étendu. Le lendemain, je me fais opérer en urgence, sans quoi je perdais mon œil. Ça a réussi, d’où les lunettes, mais aujourd’hui, je ne peux plus mettre les gants ». Coup dur, mais le boxeur est philosophe. « Je prends tout ce qui m’arrive positivement. Tout à l’heure, en venant, je me suis crashé en scoot, mais je vais bien, alors je me dis que j’ai de la chance. Pour mon œil, c’était un mal pour un bien, j’ai quitté mon boulot d’éduc pour devenir coach, en auto-entrepreneur ».

Il faut dire que Chérif commence à avoir une solide réputation en région parisienne. Depuis 2014, il organise l’été de grands entraînements collectifs qui réunissent jusqu’à une centaine de participants. Lors d’une de ces sorties, il flotte sévère. Chérif gueule : « On s’en fout on s’entraîne ! » Le soir, sur les réseaux, des participants postent des photos, hashtag « On s’en fout on s’entraîne ». Chérif lance ensuite son concept -qu’il s’est d’ailleurs fait tatouer entre les omoplates. « Osfose, c’est moi. C’est mon credo. C’est pas élitiste. Une vieille qui fait ses quinze minutes de marche par jour, elle est osfosée. Parce qu’elle aurait pu rester chez elle ». Et ça marche, en témoignent ses 1893 likes sur facebook et les quelques célébrités qui portent ses tee-shirts (Cheik Koné, Sylvain Potard, Boubacar Baldé). Sur le plan de l’oseille, ça ne rapporte pas grand-chose. Ce n’est pas l’objectif. « C’est un concept de motivation, l’idée c’est de distiller de l’énergie positive. Les passionnés de sport me disent ‘t’as conceptualisé tout ce qu’on ressentait’ ». Régulièrement, il organise des « Osfose day », toujours gratuits. « Être payé pour, ça ne m’intéresse pas. Quand tu demandes de l’argent, tu es redevable. Là, on se fait des aprèms de kif sportif. C’est comme des grands piques-niques ».

De son côté, Chérif vit de sa passion. Il est coach dans plusieurs salles parisiennes, notamment l’Apollo Sporting Club qui vient d’ouvrir une salle « à l’ancienne », dans Paname. Il bosse aussi avec des structures qui interviennent en entreprise, pour créer de la dynamique d’équipe. Malicieux, il le dit bien : « En semaine, si tu veux m’attraper, c’est dans les salles. Je vis la boxe à travers les gens que j’encadre ». Il prépare aussi deux compétiteurs, dont Séverine Forestier. Elle définit Chérif comme « un super exemple à suivre, quelqu’un de droit. C’est mon coach aujourd’hui, et je ne veux plus personne d’autre », conclue-t-elle en mettant ses bandes.

Chérif, lui, nous a laissés. Il a entraînement.

Par Mathieu Blard

Photos : Sebastien Cohen