Pour ce nouvel épisode de Cola Maya, Argot est parti à la rencontre de Lou Escobar. Confinement oblige, notre entretien s’est fait par téléphone. Non sans regret, car il suffit de quelques mots pour comprendre que Lou est un personnage haut en couleur. Tout comme ses clichés dans lesquels bouillonnent personnages atypiques, paysages désertiques et lumières épileptiques.
La photo
J’ai commencé la photo, pour passer le temps. C’était il y a 4 ans, je venais d’arriver aux Etats-Unis, à San Francisco et j’attendais un visa pour travailler. J’avais un vieil appareil « Konica Pop » et une envie de faire quelque chose d’artistique. Alors, j’ai commencé à photographier des gens dans la rue : des sans-abris, des toxicomanes… J’ai pris goût à la photo dans l’ennui, je n’ai pas fait d’école.
Aujourd’hui, dans le milieu de la photo, je n’ai pas le sentiment d’avoir à prouver plus de choses qu’un homme. Certes, il y a moins de femmes, c’est une évidence. Mais, je ne subis pas la différence et ne ressens aucun complexe. C’est un peu dur ce que je vais dire, mais cela dépend surtout de la façon dont tu vois les choses. J’ai toujours travaillé avec des mecs et jamais eu de sentiment d’infériorité. Après, quand tu bosses avec le sexe opposé, il y a des choses qui se passent, mais ça peut également avoir lieu avec des femmes. Personnellement, je ne me sens pas vulnérable. Certes, j’ai des choses à prouver, mais c’est davantage de l’ordre du personnel.
Le 9.1, la famille, les amis…
Tu peux venir de n’importe où et être ce que tu veux. Je viens de banlieue. Je suis née à Ris-Orangis et j’ai grandi à Grigny. Ensuite, je suis partie vivre à Egly dans la cité Théophile le Tiec. Mes grands-parents sont immigrés espagnols, et ma mère vient d’Algérie. Elle a beaucoup travaillé puis on est partis à la campagne, à Etampes, mon lycée était à Guinette.
Quand j’étais adolescente, je passais beaucoup de temps à m’ennuyer. Pas parce que c’était la banlieue, mais j’étais constamment en attente, dans ma tête et dans mes activités. Une grande partie de ma culture vient de la télévision, des livres et du cinéma car j’y consacrais beaucoup de temps.
J’avais un pote cinéphile. Il s’appelait Valentin, avait mon âge et une culture cinématographique énorme ! On passait notre vie ensemble. Il me parlait de films du monde entier. Nous tuions le temps à regarder des films aussi bons que mauvais. Ma première claque cinéma, c’est Quentin Tarantino. L’univers me parlait et surtout les meufs qui avait du pouvoir. Ce n’était pas mon côté féministe, mais plutôt mon côté « bébé ». J’aimais bien les couleurs, l’énergie, le caractère « bad ass » et un peu sexualisé. Il y avait un coté puissant dans ce cinéma. C’était toujours des personnages qui se vengeaient et avaient du style. Cela m’a vraiment marqué. Visuellement c’est ce qui a tout déclenché chez moi. Les couleurs et la prise de vues m’ont nourri. C’était nouveau cinéma et ça a révolutionné mon imaginaire.
Ma mère m’a également beaucoup inspiré. Elle représente le courage d’être soi. Elle a été élevée à la DASS et a une histoire compliquée. Elle nous a toujours rappelé que tout n’est pas simple et appris le courage par son exemple. Elle a réussi à dépasser ses problèmes, alors qu’elle aurait pu tout simplement les reproduire.
Les projets
Récemment, j’ai fait un séjour de deux mois en Afrique. Ça m’est venue comme ça. Je n’étais pas à l’origine de cette idée, mais vu que tous les éléments étaient réunis, je me suis dit GO. C’est une démarche un peu spirituelle, mais quand je suis amené de manière hyper calme, évidente et simple vers quelque chose, je me dis que c’est bon. Solab, une boîte de production avec qui je travaille m’a parlé de Pongo, une artiste angolaise. J’adorais son histoire. Elle a immigré au Portugal pendant la guerre quand elle était petite et avait composé une chanson en hommage à l’Afrique. Ça faisait écho à ma vie. Je comprenais son besoin de retourner dans son pays.
Finalement, nous n’avons pas pu tourner en Angola, cela revenait trop cher pour la production, mais ce n’était pas la volonté qui lui manquait. On a tourné au Sénégal et en Afrique du sud. C’était ouf, un véritable déclic ! Par la suite, je me suis dit qu’il fallait que j’aille chercher dans mes tripes des trucs qui me font vibrer et qui me concernent.
L’engagement
Je déteste dire ça, mais quand on fait de l’art, on est témoin du monde dans lequel on vit. On en est acteur et on s’en inspire. Faire de l’art pour enseigner quelque chose c’est pas la meilleure façon de faire. En travaillant sur des thèmes qui nous concernent, on a naturellement un impact. Si un sujet me parle, je fonce. L’interprétation ne m’appartient pas. Je suis dans mon délire et je vais là ou je veux.
Avec du recul, si je devais donner un conseil à mon moi enfant, je lui dirais : « Aies confiance. Vas-y. » ou lui ferai un gros câlin en lui disant dors tranquille des beaux jours nous attendent.
Si j’avais un cri du coeur, ce serait le suivant : « aime-toi ». On n’est rien sans s’aimer soi-même. Ca fait très « philo », mais en réalité, rien ne marche si ce n’est pas pur. Si tu n’as pas réussi à résoudre des choses chez toi tu ne pourras rien faire avec le monde.
Trop souvent, les gens ne s’aiment pas assez, renvoient leurs peurs à la figure et se crachent leur haine. La haine c’est avant tout la peur.