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Le 14 novembre 2017 , Emmanuel Macron avait choisi Tourcoing pour son premier grand déplacement sur le thème de la politique de la ville. Quelques mois auparavant, le gouvernement avait annoncé des coupes dans le budget alloué aux quartiers prioritaires de la politique de la ville pour l’année 2017. La réduction des crédits alloués à la politique de la ville, la baisse de l’APL, la réduction du nombre de contrats aidés avaient désenchanté les 1514 quartiers concernés et leurs habitants. Pour l’occasion le président de la République avait tenté de ré-insuffler un peu d’espoir dans ces quartiers en annonçant de nouvelles mesures.

Lancement de l’expérimentation des Emplois francs, remise du rapport Borloo, Etats généraux de la ville, le mois d’avril aura été marqué par une séquence « quartiers ». Argot a suivi pour vous les temps forts de ces grands rendez-vous .

L’expérimentation des Emplois Francs

Le 5 mars 2018 à Cergy, Jacques Mézard le très discret Ministre de la Cohésion des territoires annonce le lancement de l’expérimentation des Emplois francs au 1er avril 2018. Le but de ce dispositif est d’inciter les entreprises à embaucher des jeunes demandeurs d’emploi résidents des QPV en contrepartie d’une aide financière allant de 2500 à 5000 euros par an (1).

Figurant dans le programme du candidat Macron, cette mesure s’était déjà soldée par un échec sous le quinquennat précédent. Un fiasco imputé à des critères de sélection mal définis selon certains experts. La nouvelle version du dispositif est jugée « utile mais insuffisante » par Saïd Hammouche, fondateur du cabinet de recrutement leader dans la diversité Mozaïc RH. «  C’est très bien d’inciter les entreprises à recruter ces candidats. Encore faut-il qu’elles sachent comment et où les trouver. En 2017, selon le Medef, plus de 400 000 offres n’ont pas été pourvues, faute de candidats identifiés ! » (sic HR Voice)

Cette deuxième phase de test sera réévaluée en septembre 2019 et ne concernera dans un premier temps que certains territoires (Angers, Cergy Pontoise, Grand Paris Sud, Lille, Marseille, Roissy Pays de France et la Seine-Saint-Denis) qui à eux seuls totalisent plus de 200 000 demandeurs d’emplois.

La remise du rapport « Borloo »

Doté de 19 « programmes » allant de l’emploi aux associations en passant par le numérique, le rapport Jean-Louis Borloo sur la politique de la ville a été remis au premier ministre Edouard Philippe le 26 avril 2018 à Paris.

On y recense trois propositions phares destinées à dynamiser le processus d’insertion économique des jeunes issus des quartiers populaires :

  • « Tout passe par l’entreprise et l’emploi ». C’est avec ces mots que l’ancien Ministre Délégué à la ville introduit le 7 ème volet de son rapport consacré à l’emploi et à l’entreprise. Après un bref état des lieux dans lequel il déplore le gâchis engendré par les problèmes d’accessibilité à l’emploi, le texte préconise de mettre l’accent sur l’apprentissage en s’inspirant du modèle allemand. Il suggère également la mise en place d’un « coaching généralisé » par des réseaux d’accompagnement  existants (Mozaïc RH, Article 1, AFEV…) afin de transmettre les outils nécessaires lors de la recherche d’emploi. Enfin, le rapport suggère de valoriser davantage le potentiel entrepreneurial des quartiers et prévoit entre autre, la création d’un fond de 60 millions d’euros et de 100 « zones franches numérique et culture ». Des propositions qui ne devraient pas déplaire à Emmanuel Macron. Pendant sa campagne, le président de la république avait multiplié les déplacements sur ce thème et annoncé notamment sa candidature au Campus des métiers et de l’entreprise de Bobigny.

  • Toujours sur le numérique, l’ancien maire de Valenciennes souhaite la création de 200 « Quartiers d’excellence numérique » matérialisés par des campus « Le campus est un vaste lieu, symbole de convivialité et support d’échanges, véritable ré-invention de la place du village moderne et attractive permettant au plus grand nombre un accès total, via les outils digitaux les plus innovants, à une offre de services complète et clairement identifiée : formation, emploi, services publics, culture, aide aux juniors, bénévolat. » Selon lui la jeunesse de la population des quartiers, logiquement plus encline à maitriser les nouvelles technologies, fera de ses campus un levier de la révolution numérique. Un travail déjà amorcé par certains incubateurs situés en banlieue, à l’image de La Miel (La Courneuve), Bond’innov (Bondy) et le Comptoir (Montreuil) qui multiplient les actions pédagogiques afin de sensibiliser les plus jeunes aux métiers du numérique (2).

  • « La création d’une Académie des leaders » ; C’est le programme qui a certainement provoqué le plus de critiques. En effet, afin de promouvoir davantage la parité et la diversité au sein des élites, le texte avance l’idée de la création d’une nouvelle grande école (inspirée de l’ENA). La sélection se fera sans diplôme préalable et sera réservée dans un premier temps aux jeunes des QPV. Une fausse bonne idée pour beaucoup qui regrettent la dimension stigmatisante de cette proposition. D’autant que des dispositifs visant à promouvoir l’égalité des chances existent déjà au sein des grandes écoles notamment à l’ENA, Sciences Po, HEC…

Suite à la remise de ce rapport, les signataires de l’appel de Grigny (3) se sont une nouvelle fois réunis pour réaffirmer leur espoir de changement et saluer le travail de Jean-Louis Borloo.

Un enthousiasme qui contraste avec le sentiment d’autres acteurs associatifs. « Ce rapport s’appuie malheureusement toujours sur les mêmes réseaux et ne consulte pas suffisamment les populations (premières concernées) et associations qui sont au quotidien sur le terrain » selon Moussa Camara, président de l’Association Les Déterminés.

Cependant, la charge la plus violente a été portée par Rachida Dati. « Le fil conducteur de ce plan, c’est encore des milliards supplémentaires à fonds perdus pour de l’assistanat. Et ce alors que depuis 2004 et la création de l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine, NDLR) plus de 60 milliards d’euros ont été déversés sur ces quartiers dits populaires » affirme dans un communiqué de l’ancienne garde des sceaux.

Quelles propositions seront finalement retenues ? Le soin d’arbitrer reviendra au chef de l’Etat, qui selon l’Elysée, devrait s’exprimer d’ici à la mi-juin sur le sujet.

 

(1) 5000 euros pour un CDI sur 3 ans, 2500 euros pour un CDD d’au moins 6 mois sur deux ans maximum

(2) Voir notre article : Le numérique est-il vraiment un tremplin pour la jeunesse des quartiers ? 

(3) Appel de Grigny : Appel lancé au président de la République le 16 octobre dernier lors des Etats généraux de la Politique de la Ville par un ensemble d’élus et d’associatifs (Bleu Blanc Zèbre, Ville et Banlieues...)

Illustration : Youssouf Kiffia