Deuxième déplacement de l’ex-ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, depuis sa démission du gouvernement il y a une semaine. Après Châlons-en-Champagne, le voici en Seine-Saint-Denis pour parler emploi et entreprises dans un département qui a fortement voté pour François Hollande en 2012.
A Bobigny ce lundi matin, Emmanuel Macron a fait du Emmanuel Macron, en direction des jeunes des quartiers cette fois-ci. Un discours libéral pour séduire les nombreuses victimes du chômage de masse et ceux qui aspirent à l’entrepreneuriat. Le lieu de son déplacement de quasi candidat n’est pas inconnu à l’ex-ministre de l’Economie. Il y a 8 mois, il s’était déjà rendu dans ce centre de formation de Bobigny, le Campus des Métiers et de l’entreprise. Une journée de janvier au cours de laquelle Emmanuel Macron s’était offert un petit road trip dans le 93, accompagné de la ministre du Travail, Myriam El Khomri, pour serrer quelques mains et discuter emploi et formation avec des élèves. Aujourd’hui, le voici dépouillé de tout cortège. Seul, il entre dans le bâtiment. Une franche accolade vient sceller les retrouvailles avec Patrick Toulmet, le président de la Chambre des métiers de la Seine-Saint-Denis et conseiller régional UDI d’Île-de-France. Celui-là même qui l’avait interpellé en janvier dernier sur le trop grand nombre de places vacantes dans le campus en lançant un “M. le Ministre, écoute-moi!”. Le ministre aujourd’hui n’est plus mais l’entrée en campagne est quasiment là.
C’est par l’antre des mécanos que la visite débute, dans un hangar d’une centaine de mètres carrés sous lequel s’affaire une dizaine d’élèves en formation carrosserie, bien studieux. L’ancien locataire de Bercy engage la conversation avec Apolonia, l’une des rares jeunes filles dans cette filière ordinairement choisie par les hommes. “Généralement, les filles sont beaucoup plus déterminées”, souffle Leïla Diri, la directrice du Campus. S’ensuit un échange avec les élèves d’un CAP coiffure sur leur formation. “Il dit beaucoup de choses, il faut qu’il donne des preuves”, constate, perplexe, Cindy, 23 ans. C’est sur ces questions d’emploi et de formation que nous interrogeons l’ex-ministre. Nous nous retrouvons dans le centre de documentation pour un entretien accordé au Bondy Blog.
Bondy Blog : Lors de votre dernière visite, Patrick Toulmet vous avait interpellé sur les 1400 places non pourvues du Campus des métiers et de l’entreprise de Bobigny. Vous lui aviez promis de combler ce vide. Huit mois plus tard, en cette rentrée, les 1400 places ont donc été pourvues?
Emmanuel Macron : Il y a toujours aujourd’hui des places non pourvues, c’est une préoccupation que l’on doit tous partager. J’ai demandé des formations pour les chômeurs, dans le cadre du plan “500.000 chômeurs”. 150 chômeurs ont été reçus par Patrick Toulmet et ses équipes. Seulement 50 d’entre eux ont obtenu une formation. Je pense qu’il faut que l’on aille plus loin maintenant. Il faut généraliser la démarche qui consiste à améliorer la formation des chômeurs et faire en sorte qu’ils aient accès à l’apprentissage. Il doivent pouvoir accéder à toutes les voies qui permettent de retrouver une carrière. En effet, ce CFA est reconnu et est l’un des meilleurs de France. Certaines personnes font 2, 3 heures de route pour venir, mais en même temps il y a toujours des places vacantes, parce que l’apprentissage n’est pas suffisamment reconnu en France. Tout ceci est dommage, on doit se mobiliser. C’est pour ça que je suis là aujourd’hui, parce que l’apprentissage fait partie des réponses au défi économique et social que nous vivons et en particulier dans les quartiers.
Bondy Blog : Vous êtes venus échanger avec des jeunes en formation, qui en bonne partie sont originaires d’un département qui compte l’un des taux de chômage les plus élevés. Quelles sont vos préconisations en matière d’emploi?
Emmanuel Macron : Quand on regarde la Seine-Saint-Denis, il y a un cumul des problèmes. C’est ça le vrai sujet.
Bondy Blog : Le problème à la source c’est tout de même la formation. Que peut-on faire en amont?
Emmanuel Macron : On a des familles en difficultés économiques et sociales, du coup des jeunes qui connaissent un environnement familial difficile, sur le plan financier, en matière sanitaire et en matière d’encadrement, des familles éclatées, des difficultés liées à la violence. On a aujourd’hui tous ces débats de société qui se concentrent dans ces quartiers parce qu’ils viennent les fracturer. On a aussi en effet des employeurs qui parfois se sont développés sur ce territoire – et c’est une formidable réussite- mais qui n’embauchent pas suffisamment dans ces quartiers parce qu’il y a une prévention, des problèmes de discrimination à l’embauche, des hésitations. Quand on concentre toutes ces difficultés, pour moi la clé c’est l’autonomie individuelle et la mobilité. Il faut redonner des perspectives, en particulier aux plus jeunes, à ceux qui ont des vies bloquées. Ce qui est insupportable c’est qu’en raison de l’endroit d’où l’on vient, on n’a pas les mêmes opportunités que les autres. Ce qui est insupportable c’est de se dire qu’on est proche de Paris mais qu’à partir de 18h, il faut 2 ou 3h pour rejoindre la capitale.
Bondy Blog : Donc, vous pensez qu’il y a un lien entre mobilité sociale et mobilité urbaine?
Emmanuel Macron : Je pense qu’il y a un lien formidable. On l’a vécu avec le sport. On a fait des champions de foot..
Bondy Blog : Il y a d’autres carrières possibles que le football…
Emmanuel Macron : Je dis juste qu’on a su le faire dans le football parce qu’il y a eu du pragmatisme. Les centres de formation, les clubs ont embauché des jeunes de ces quartiers sans se soucier d’où ils venaient tout simplement parce qu’ils étaient les meilleurs au ballon. On a fait pareil avec les comiques. Pourquoi ce serait interdit au monde de l’entreprise? Je constate qu’il y a une jeunesse inventive qui a envie, qui créé beaucoup plus d’entreprises que dans d’autres endroits, qui veut s’en sortir. Ce qu’on doit faire, c’est lui donner une formation, lui donner une capacité d’accéder à l’emploi en luttant contre les discriminations à l’embauche, en généralisant les testings et en valorisant les parcours pour résoudre le problème des discriminations. La génération qui arrive doit être une génération de stars dans l’entrepreneuriat, dans l’économie. C’est ce que j’avais dit en afrimant qu’il faut qu’il y ait des jeunes qui veulent réussir et devenir milliardaires.
Bondy Blog : C’est une forme d’aveu d’impuissance de l’État…
Emmanuel Macron : Je dis que c’est bien qu’il y ait des jeunes, je ne dis pas que c’est le cas pour tout le monde. Il y a des gens pour qui réussir passera par la réussite familiale, pour d’autres ça sera artistique. Ce que je dis c’est que quand on a envie de réussir, on doit pouvoir le faire d’où qu’on vienne, en fonction de son mérite et de son engagement. Ce qui est insupportable c’est d’être bloqué parce qu’on est né dans telle ou telle famille, qu’on porte tel ou tel prénom ou parce qu’on vient de tel ou tel quartier. Ce n’est pas une démission de l’État, c’est tout le contraire.
Bondy Blog : C’en est une tout de même.
Emmanuel Macron : Non ! L’État doit juste arrêter d’essayer de tout paramétrer, de bloquer en disant “je veux être juste donc je vais empêcher les gens de réussir trop bien”. Non! Vous devez mettre tout le monde en situation de réussir comme il veut. L’État doit aller beaucoup plus loin dans la formation, dans l’école, dans la lutte contre les inégalités d’accès. Tout le monde ne réussit pas. Moi je cours moins vite le 100 mètres qu’Usain Bolt, mais c’est pas parce qu’on va ralentir Usain Bolt que je serais plus heureux ! Par contre, si je suis doué aux 100 mètres, je veux pouvoir être le meilleur si on me laisse la possibilité de m’entraîner et d’y arriver. C’est ça la clé de l’économie : il faut réussir à redonner des chances et des accès.
(Patrick Toulmet, président de la Chambre des métiers de la Seine-Saint-Denis et soutien d’Emmanuel Macron, intervient).
Patrick Toulmet : Comme le ministre l’avait dit à l’époque concernant l’argent, moi j’encourage mes jeunes parfois. Quand dans mon bureau, je leur dis “il y a 5 artisans, ils ont une Porsche chacun dont moi”, j’en ai honte? Non ! Je suis fier parce que j’ai eu les moyens de me l’acheter, parce que j’ai bossé. Je suis arrivé en plus handicapé. Je me suis fait tout seul, il a fallu que je me batte. La discrimination, je l’ai connue. A l’époque, il y a 40 ans, embaucher un handicapé, ce n’était pas simple. Je dis aux jeunes de ne pas rêver que du football. Le football et le rap, il n’y a pas que ça. Il en sort un de temps en temps. Les boulangers qui gagnent plein de fric, je peux t’en faire voir, et qui gagnent beaucoup d’argent. Le sujet est là aujourd’hui.
Bondy Blog : Le taux de création d’entreprises est deux fois plus élevé en Seine-Saint-Denis que dans tout le reste du territoire mais il en est malheureusement de même pour le taux d’échec, celui des dépôts de bilan enregistrés. Comment expliquez-vous ce phénomène M. Macron?
Emmanuel Macron : C’est normal parce que vous avez beaucoup de jeunes qui ont envie de créer leur entreprise. Ils n’ont pas forcement la bonne formation, ne sont pas forcément encadrés, donc il y a plus de défaillance. Le défi ici c’est de garder cette énergie entrepreneuriale, c’est de mieux former les gens, parce que quand il y a de la défaillance, c’est parce qu’il n’y avait pas la bonne formation à la gestion, parce qu’on ne s’est pas préparé, parce qu’on n’a pas regardé si on avait le bon marché, c’est normal. La réponse classique en France c’est de dire “vous n’êtes pas capables de le faire”, c’est d’empêcher les gens parce qu’il y a de l’échec. On apprend d’un échec ! Mais on est en train de changer le pays, on va le changer maintenant. Il faut aussi que ceux qui sont tombés puissent rebondir très vite. Il faut que dans ces quartiers on ait aussi le droit à l’échec et il faut qu’on valorise la réussite. Si on arrive à faire ces deux choses-là, on réglera nos problèmes beaucoup mieux qu’avec quelques décrets que ce soit, quelques politiques publiques, quelque argent public. Les jeunes dans les quartiers ne veulent pas de subventions, ils ne font pas l’aumône. Ils veulent pouvoir réussir comme les autres.
Abiola Ulrich OBAONRIN
Crédit photo : Alexis Garcia