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Dans le quartier de Château Rouge du 18e arrondissement, il est 19 h quand le soleil se couche. Les étales des femmes, congolaises pour la plupart, bordent les trottoirs. Au détour de la rue des Poissonniers, après le restaurant « Chez Mama D », nous apercevons rapidement Jocelyn « Le Bachelor » vêtu d’un élégant costume dans les tons crème, accessoirisé d’une fleure bleue piquée dans la poche du veston. Un chapeau surplombe sa cravate aux couleurs noir, jaune, rouge. Sa boutique, Sape & Co, est occupée par les « petits et grands frères » congolais où les discussions s’animent, autour d’un verre de Guiness.

Le Bachelor maîtrise le sens de l’accueil, c’est vrai. Sa popularité dans le quartier ne l’autorise pas à finir une phrase sans s’interrompre pour saluer un passant. Dans sa boutique, vieille de 12 ans, on n’entre pas uniquement pour les costumes trois-pièces. Parmi les nombreuses célébrités adeptes de Sape & Co, il y a l’écrivain Alain Mabanckou. Sur RFI en août 2016, il le décrivait comme « le personnage romanesque parfait du Congolais à Paris. Il cherche à dire que la sape (Société des ambianceurs et des personnes élégantes) n’est pas seulement une petite récréation, mais qu’elle est aussi en lien avec l’économie, la politique, et peut-être aussi une forme d’idéologie. »

Le Bachelor, souvent au cœur de l’attention médiatique, ne se revendique pas comme « roi de la sape », mais concède « jouer sa partition ». Lorsqu’il arrive en France en 1977 pour ses études, Jocelyn « Le Bachelor » commence par de petits boulots alimentaires. Il débute comme vendeur chez Daniel Hechter. « Je ne voyais que du noir, du bleu marine, du gris… le même jour à la fac, je portais un pantalon en tweed rouge agressif. L’envie de créer ma marque est née des frustrations en tant que consommateur et vendeur. »

En 2005, la boutique Sape & Co et la marque Connivences voient le jour pour « sublimer la couleur » en réponse à « la sape corbillard ». « J’essaye d’être fidèle à cette symbiose : la culture occidentale que j’ai épousée, et celle de mon Congo Brazzaville natal. » Depuis, malgré les difficultés, Connivences reste le carrefour des rencontres portées par la vente. Néanmoins, rien n’est fait au hasard. Si derrière la marque du Bachelor se cachent des revendications, elles sont également nombreuses au centre du moyen d’expression corporel que représente la sape.

« La sape s’inscrit avant tout dans une logique de liberté d’expression, de revendication d’égalité entre le blanc et le noir. Ce n’est pas une question d’assimilation. » déclare Guy Mankessi, debout dans un coin de la boutique. Son ami, Mawawa surenchérit « C’est un des rares espaces d’indépendance qu’il restait lors de la colonisation et qui subsiste aujourd’hui avec nos gouvernements répressifs. La boucle est bouclée ! » Le pouvoir de l’élégance comme expression sociale, comme opposition. Le sapeur refuse les conventions. Sous ses airs de légèreté, la sape devient alors une forme de militantisme à travers les histoires congolaises plurielles.

Chez Sape & Co, les sapeurs, et sympathisants, valident les propos à l’unanimité. Pendant ce temps, Le Bachelor esquisse quelques déhanchés au rythme de la rumba congolaise qui résonne. Il est 21 h 30, l’activité bat son plein à Château Rouge alors que les safous se font rares sur les étales. Les coiffeurs restent ouverts, bondés. Le Bachelor, lui, ferme finalement boutique.

Photos : João Bolan