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Félicitations pour ta double nomination aux César : une dans la catégorie meilleur court-métrage avec « Les Misérables » et une autre dans la catégorie meilleur documentaire avec « À voix haute » co-réalisé avec Stéphane de Freitas ! Tu parles d’une consécration ?

Non je dirais pas ça, c’est juste dans la continuité du travail qu’on fait depuis pas mal de temps. Je me dis que c’est une étape. On est fier, mais je ne me pense pas « ça y est, j’ai réussi ma vie ». On a encore beaucoup à faire. Y’a aucune certitude pour qu’on gagne, mais de toute façon déjà être en compétition à côté de JR, ça tue. On travaille depuis 15 ans ensemble et on se retrouve nominés aux César !

Comment est arrivé le langage de l’image dans ta vie ? Quel pouvoir lui prêtes-tu ?

À l’époque, je faisais partie de Kourtrajmé. J’ai filmé une bavure policière en 2008, des policiers tabassaient un jeune dans le hall juste à côté d’ici. J’ai diffusé sur internet. Toute la presse l’a repris, il y a eu une enquête de l’IGS (NDLR aujourd’hui fusionné avec l’IGPN), des policiers suspendus. C’est là que je me suis rendu compte de la force, de l’impact de l’image. Ma caméra était une arme pour espérer régler beaucoup de problèmes.

Est-ce que t’as l’impression que tes films font bouger les lignes ?

Je pars du principe que je suis témoin d’une époque et de ces quartiers. Je suis là pour raconter des histoires. Je ne sais pas si ça fait bouger des lignes, mais en tout cas, ça lance de débat. On a sorti « Les Misérables » et c’est tombé en plein dans l’affaire Théo, presque dix ans après avoir filmé une bavure. Et est-ce que les choses ont évolué ? Je ne pense pas.

Le cinéma français aujourd’hui n’est pas du tout à l’image de la société française. Quel regard portes-tu là-dessus ?

Quand on voit le paysage dans le cinéma français, les blacks je les compte sur les doigts d’une main. À un moment donné, il faut que ça bouge. Nous aussi on a des histoires à raconter, on est là, on vit là, on est français. Faut qu’on nous laisse un petit créneau pour qu’on s’exprime. On ne peut pas toujours mettre les mêmes personnes qui font les mêmes films des mêmes scénaristes avec les mêmes réal et les mêmes prod. Aujourd’hui, clairement, je regarde le cinéma français et je me fais chier. Je me fais chier parce que ce n’est pas à l’image de cette société multiculturelle. Quand je vois le docu « À voix haute », là je m’y retrouve. T’as des rebeu, des renois, des Chinois, la France d’aujourd’hui quoi. Au cinéma, je ne reconnais pas la France. Je me dis qu’il y a un problème. Mais à un moment donné faut qu’on fasse notre place aussi, qu’on arrête de se plaindre et « faire ». Quand on s’est rendu compte avec Kourtrajmé que le cinéma c’était du réseau, on s’est dit « on va tout faire nous-même » et on s’est débrouillé !

En 2017, la presse soulignait l’effort des César en faveur de la diversité en opposition avec le mouvement #OscarsSoWhite de 2016. En 2018, après 42 ans de compétition, Omar Sy reste le seul noir à avoir remporté le César du meilleur acteur. Est-ce qu’on avance vraiment ?

L’année passée, il y a eu une petite ouverte avec Alice Diop et Maïmouna Doucouré qui ont remporté ex aequo le César du meilleur court métrage. Mais le problème n’est pas résolu et je le vois au quotidien. À chaque fois que j’arrive à un événement dans le cadre professionnel, une projo ou une compétition, je suis le seul renoi ou alors il y a un gars de la sécu et un serveur pour me tenir compagnie. Ça marque l’air de rien !

Impossible de ne pas parler du film Black Panther qui explose tous les records. Penses-tu que pour progresser, il faut aussi passer à un cinéma « par et pour les noirs » ?

On ne doit pas oublier que la base de Black Panther, c’est un mouvement de militants afro-américains. C’était un vrai combat et des gens ont perdu la vie. Disney a repris ça pour en faire un super héros. Ça cartonne, tout le monde en parle. C’est vu dans le monde entier. Après faut le décoder le film et j’estime qu’il y a plusieurs messages.

Je me dis aussi que d’un point de vue financier, un film avec des comédiens blacks et des réalisateurs blacks qui cartonne, ça fait réfléchir. Parce que quand tu proposes un film avec un noir en tête d’affiche, en France on te dit « non y’a pas de public, ça ne va pas marcher ». Alors que Omar Sy fait 20 millions d’entrées. Là on se rend compte qu’il y a un vrai marché au niveau de l’industrie.

On ne te laisse pas le temps de respirer : tu as des projets dans un futur proche ?

J’adapte « Les misérables » pour en faire un long métrage. L’idée c’est de tourner cet été à Clichy-Montfermeil. Ça fait 20 ans que je tourne ici je considère que c’est mon studio à ciel ouvert. J’ai refait un film avec JR aussi. Après « Chroniques de Clichy-Montfermeil », on a envie de l’adapter pour le cinéma en version longue qu’on sortira cette année, si tout va bien. J’ai un autre projet sur les deux villes de Clichy-Montfermeil : on est en train de monter un centre de formation dédié aux métiers du cinéma pour essayer de faire découvrir ses milieux à la jeunesse et faire émerger des réalisateurs et des comédiens.