S’il existait une formule magique qui permettait de passer de livreur de pizza à grand chef d’entreprise, nous vous l’aurions peut-être donnée (mais il paraît qu’il n’y en a pas)… Dans tous les cas, nous avons jugé plus judicieux de demander au gars à qui s’était arrivé de nous raconter son histoire.
Au début des années 70, l’Iran connait des troubles politiques importants. Le Shah vient d’être renversé et la guerre contre l’Irak éclate. « J’ai encore des souvenirs extrêmement marqués de la violence de cette époque. Des bruits, des sons, des manifestations, et bien d’autres dont j’ai encore du mal à parler… » En l’espace de dix ans, la diaspora de l’ancien Empire perse (très importante notamment aux États-Unis et plus particulièrement en Californie) n’a cessé de s’agrandir.
Le jeune Alireza fait ses premiers pas dans une ville en proie aux bombardements « je me souviens que mon père et d’autres hommes du quartier montaient sur des lampadaires avec des marteaux pour les briser afin que nous ne soyons pas visibles des bombardiers, qui pilonnaient à très basse altitude la nuit venue. » Comme beaucoup à Téhéran, sa petite famille et lui vivent le plus souvent cachés dans les sous-sols où toute une vie parallèle s’est recréée. Un jour, alors qu’il se rendait dans une administration afin d’obtenir des papiers pour sortir du territoire, son père est alors témoin d’un attentat sanglant. C’est peu de temps après cet épisode que la petite famille parviendra à quitter le pays.
Direction la Turquie, puis la Syrie et Damas où le jeune garçon est un temps scolarisé. La petite famille pose finalement ses valises en France à l’hiver 84. « Tout ceci n’était pas forcément dans leur projet, certes mon père voyageait beaucoup pour ses affaires, mais avant la révolution les gens ne bougeaient pas tant que ça, il n’y avait pas vraiment de volonté de partir. » Les souvenirs d’un bon climat social iranien contrastent brusquement avec leur nouvelle vie, celle d’une famille de réfugiés, sans attache et marquée par un véritable déchirement. Ils louent une petite chambre dans un appartement à Puteaux chez l’habitant. Ils y vivent à quatre.
Après plusieurs déménagements, la famille atterrit dans le 15e arrondissement dans un petit studio qui n’excède guère les 30 m2. Alireza a alors 7 ans, sans maitriser un mot de français, il fait sa rentrée en classe de CP. « Mes parents avaient l’habitude de venir me chercher le midi pour déjeuner à la maison. Un jour, mes parents m’avaient exceptionnellement inscrit à la cantine, la maitresse m’informe qu’ils ne viendront pas me chercher ce midi. Ma compréhension du français étant encore très limitée à l’époque, je me suis dit qu’ils m’avaient abandonné et j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps jusqu’à leur arrivée le soir ! » Outre le traumatisme de son périple, l’anecdote révèle également une intégration difficile pour lui et plus largement, pour sa famille.
Son père continue à faire des allers/retours avec l’Iran et sa mère, diplômée en biochimie, est désormais inscrite à l’ANPE. Elle se voit proposer des formations, mais la barrière de la langue rend les choses compliquées. « Elle a compris qu’il fallait tout recommencer. Un jour elle m’a demandé de lui écrire phonétiquement “Bonjour, je cherche un stage dans votre entreprise”, elle a appris cette phrase par cœur et a fait le tour de Paris à la recherche d’un emploi, munie de son CV et de cette seule réplique. Elle a fini par trouver du travail dans un duty free d’un quartier touristique de Paris et y a travaillé pendant 22 ans. »
À l’école primaire, la scolarité d’Alireza se déroule pour le mieux. « Ma mère me faisait réviser mes leçons, vu qu’elle ne comprenait pas le français, je devais tout apprendre par cœur à la virgule près. Il fallait qu’elle puisse suivre la récitation à la lettre ! Dès que j’avais le malheur de sauter une virgule ou d’utiliser un synonyme, elle m’ordonnait de recommencer ! J’apprenais tout comme une poésie ! » La connaissance étant primordiale dans l’éducation des enfants iraniens.
Comme beaucoup de fils d’immigré dont les parents ne maitrisent pas la langue, il se voit dans l’obligation d’effectuer lui-même l’ensemble des formalités administratives. Des démarches qui lui confèrent une maturité et des responsabilités plus importantes que celle de ses petits camarades.
À la fin de son année de 6e : nouveau départ. Son père décide de retourner en Iran avec ses deux enfants contre l’avis de leur mère. Ce n’est que quatre ans plus tard que leur mère, restée en France, retrouve l’espoir de voir à nouveau ses enfants…
Texte : Argot
Illustrations : Stella Lory