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En février 2014, un conflit armé éclate dans l’est de l’Ukraine, peu après la naissance du mouvement Euromaïdan (Maïdan pour la place de l’indépendance à Kiev) et la destitution du président ukrainien « prorusse » Victor Yanukovych. Bilan de cette guerre : 34056 blessés et 10090 tués selon un rapport du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme réalisé entre le 14 avril 2014 et le 15 mai 2017.

Les heurts entre les séparatistes « prorusses » et les forces armées ukrainiennes ont disloqué le pays et son économie. En mai 2014, le référendum organisé par les séparatistes « prorusses » scelle l’union des républiques populaires autoproclamées de Donetsk et Lougansk. Kiev les qualifie alors de territoires occupés. Dans la foulée, le gouvernement ukrainien renforce la sécurité à la limite de ces territoires en installant des postes de contrôle visant les civils et les transports.

Un soldat ukrainien vérifie les passeports d’une famille en voyage pour Donetsk.

En 2015, le système se durcit. Les services de sécurité ukrainiens astreignent les civils à un enregistrement en ligne en vue d’obtenir un numéro d’identification. Cette inscription leur permettra ensuite de passer outre les postes de contrôle. Pour une frange âgée de la population, la tâche se révèle impossible sans accès à Internet. Ces retraités se retrouvent contraints de payer des services parallèles afin d’obtenir leur numéro.

Lorsque les institutions étatiques ainsi que les banques décidèrent de quitter les territoires occupés, des hommes et des femmes de tout âge commencèrent à s’amasser des heures, voire des jours durant, aux différents postes. Sous les bombardements, la majorité d’entre eux est venue retirer sa pension, enregistrer un mariage, obtenir un certificat de naissance ou de décès.

Au-delà des contrôles drastiques d’identité, les civils sont soumis à des règles strictes. Il est interdit de franchir la frontière militaire, dans un sens comme dans l’autre, en possession d’alcool ou de cigarettes. De plus, la nourriture, l’argent ainsi que toute forme de matériel industriel sont également proscrits. Concernant les marchandises, leur valeur totale ne peut excéder 10,000 hryvnas (la devise monétaire ukrainienne), soit 334€. Pour le reste, les règles sont les mêmes qu’aux frontières internationales : 10 paquets de cigarettes, 1 litre d’alcool fort  maximum et un cachet sur le passeport pour tout citoyen étranger.

Des civils venant du territoire occupé de la région de Donetsk attendent pour entrer en territoire ukrainien.

Pendant ce temps, les habitants des républiques populaires autoproclamées de Donetsk et Lougansk traversent la frontière russe sans tampon ni passeport ukrainien, et ce depuis février 2017. En effet, depuis que le président russe Vladimir Poutine a reconnu officiellement ces deux républiques, le contrôle douanier s’est révélé bien moins strict à leur égard.

Poste-frontière de Mayorsk, est de l’Ukraine

Mayorsk est un petit village situé entre la ville de Gorlovska, en territoire prorusse et Bakhmut, contrôlée par le gouvernement ukrainien. Depuis le début du conflit armé, le canton s’est transformé en poste de contrôle. Mayorsk est le dernier point avant la « zone grise » (terme militaire utilisé pour décrire une zone sans contrôle des autorités officielles).

En mars 2017, les autorités de Kiev ont forcé les civils vivant en territoires occupés à poursuivre leurs démarches bancaires (incluent le retrait de la pension de retraite) aux postes de contrôle du gouvernement. La décision fut vivement critiquée par la communauté internationale. La traversée, longue et couteuse, est synonyme de réel enfer pour les retraités qui franchissent chaque mois ces postes de contrôle.

Des civils attendent au poste de contrôle de Mayorsk à l’est de l’Ukraine.

À 5 heures du matin, peu après la fin du couvre-feu dans la région de Donetsk, les retraités se ruent à la gare routière dans l’espoir de pouvoir monter dans le dernier bus de 6h les conduisant au poste de contrôle. Moyennant 200 roubles russes (29 cents) soit 10% de la pension de retraite minimum en Ukraine, le bus conduit les passagers dans le « no man’s land » où la queue se confond déjà avec l’horizon. L’attente, rythmée par les bombardements matinaux, commence sur une grande route cernée de champs de mines. Une fois le poste de contrôle ouvert à 7 heures, les retraités vont passer en moyenne 4 à 12 heures dans la file d’attente avec des centaines d’autres civils. Tous sont là dans le seul but de faire vérifier leurs passeports par les officiers de l’armée ukrainienne.

Certains Ukrainiens ont vu dans les postes de contrôle une opportunité d’entreprendre. Des amateurs développent de « petits business » en fonction des saisons : vendeurs de thé et café ambulant en hiver où les températures peuvent descendre jusqu’à -35°C. En été, on voit apparaitre les pastèques et boissons fraîches quand les températures atteignent 35°C.

« Ils restent debout pendant des heures en attendant de pouvoir passer », raconte Julia, la propriétaire d’un des petits magasins. « On facilite la traversée en proposant le minimum comme de l’eau, des encas, du café. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est mieux que rien ! »

D’autres activités clandestines apparaissent au fil des jours. Par exemple, la vente de ticket garantissant une place au sein de la file d’attente. Certains civils en voiture, mécontents d’attendre plus longtemps que les piétons, se sont vus proposer des tickets « prioritaires » en échange de 200 à 300 hryvnias. Attention néanmoins au revers de bâton : des civils exaspérés par ce genre de comportement injuste se plaignent parfois auprès du soldat. L’automobiliste se voit alors renvoyé en dernière position sans le moindre remboursement.

Un bus rempli de passagers à Ilovaisk, une petite ville sous le contrôle des séparatistes.

Le crime profite aussi au secteur des transports. Beaucoup de nouvelles entreprises sur le marché fournissent des services alternatifs. Pour un trajet de Donetsk à Kiev, il faut compter 600 hryvnias, 1700 hryvnias jusque Moscou. En moyenne, le prix du ticket de Donetsk à la ville la plus proche contrôlée par le gouvernement ukrainien revient à 500 hryvnias. Le trajet n’excède jamais les 100 km, mais dépasse largement les 6 heures d’attente à cause des files longeant les postes de contrôle.

Ces « corridors » entre les territoires occupés et ceux contrôlés par le gouvernement étaient préalablement prévus à des fins humanitaires. Aujourd’hui, ils servent uniquement d’instruments de contrôle. Kiev profite de ces postes de contrôle pour restreindre la circulation de la population, de l’argent et des provisions pour renforcer ainsi son blocus économique contre les séparatistes prorusses.

Les premiers à souffrir de la situation restent les plus vulnérables : les personnes âgées, retraitées, handicapées, les femmes et les enfants. Tous sont exposés au danger de mort occasionné par les bombardements. Ces conditions exécrables au contact de la ligne de front privent la population de ces droits économiques et sociaux.

Texte : Joao Bolan et Sandra Alek

Traduction : Fanny Joachim

Photos : Joao Bolan