Débarquée en vélo sous une pluie battante du quartier Barbès, quelques gouttes ruissellent sur la doudoune orange de Monia Sbouaï. Son éco-responsabilité va au-delà du simple storytelling autour de sa marque Super Marché. « On ne vit plus à une période où on a encore le choix. »
Monia Sbouaï a 31 ans. Née à Porte de la Chapelle et élevée dans le sud de la France à partir de ses 3 ans, elle reconnaît maudire le ciel parisien certains matins. « Le soleil me manque. » La jeune femme s’illustre dans un parcours atypique mais évident à la fois, à l’image de sa marque. « J’ai commencé dans le travail social avec une formation de 3 ans en alternance. En 2008, j’ai quitté le social pour plusieurs raisons : au moment des élections de Sarkozy, le métier a vécu quelques changements et je n’étais pas en adéquation avec cet espèce de climat de délation. J’étais intéressée par la mode donc je suis partie étudier deux ans à Londres. »
Après son premier pied dans le monde de la mode, Monia n’a pas envie de s’arrêter là. À son retour de Londres, elle entame un CAP en prêt-à-porter d’un 1 an. « J’étais derrière une machine toute la journée. Le but n’était pas de faire des fringues chouettes, mais plutôt de roder notre technique. » De 2011 à 2013, elle se familiarise avec tous les métiers de la mode grâce à l’école supérieure des industries du vêtement. « De la logistique à la production en passant par le développement produit, de la haute couture au mass market. » Elle glane des expériences professionnelles chez Kenzo, Maison Kitsuné et riche de son parcours, elle lance Super Marché en septembre 2016. « Une marque de prêt-à-porter traditionnel et moderne, mais créée dans une économie sociale et solidaire avec une conscience de consommation. »
Pour la production, Monia Sbouaï a décidé de faire appel à un atelier de réinsertion : l’association Mode Estime. « Le challenge c’était de trouver des petites unités de production pour remettre du sens dans ce qu’on fait. Dans ce cas-ci, ce sont des gens qui ont été éloignés du marché de l’emploi pendant longtemps, qui ont une cinquantaine d’années et pour qui c’est difficile de retrouver un boulot. Il y a également des femmes avec des parcours de vie très compliqués et quelques personnes en situation de handicap. C’est à la fois des gens qui savent très bien coudre, dont c’était le métier auparavant et d’autres qui apprennent. Il y a cette notion d’échange. »
Elle reconnaît avoir eu besoin d’insuffler du sens dans sa démarche de création. « Ça me manquait dans mes jobs précédents. » Et d’ajouter « Je pense qu’aujourd’hui il faut passer par une certaine culpabilisation du consommateur. Les ressources s’épuisent, les conditions de travail sont déplorables. Et, je pense surtout que les gens se rendent compte que consommer n’est pas non plus une énorme source d’épanouissement. »
Après 1 an et demi d’existence pour Super Marché, Monia carbure à différents stimulants. Sa première énergie lui est transmise directement par les clients. « C’est grâce à leurs retours hyper positifs. Je travaille seule chez moi donc les contacts que je peux avoir avec eux sont une vraie bouffée d’oxygène. Je m’implique aussi dans l’école Casa Geração 93 de Nadine Gonzalez et c’est vraiment gratifiant. »
Concernant les objectifs, Monia espère développer des collaborations, bien que 2018 lui ait déjà réservé son lot de bonnes nouvelles. « Je vais être accueillie à partir d’avril aux Grands Voisins. J’aurais ma propre boutique-atelier. Ils rouvrent avec une zone commerciale composée de créateurs. J’y serai pour au moins deux ans. » De plus, Super Marché avait également rejoint le label « Une autre mode est possible » en début d’année.
Et si Monia a déjà quelques pistes d’avenir, elle précise également où elle ne serait pas allée. « S’il n’y avait pas eu ce lien entre la mode et le champ social, je ne suis pas sûre que je l’aurais fait. »
* Définition d’upcycling selon le site emarketing.fr : L’upcycling consiste à utiliser des objets et des matériaux destinés à être jetés pour les réintroduire dans la chaîne de consommation, après leur avoir redonné une valeur, une utilisation différente, une destination originale par rapport à celle qui était originellement la leur. Cette action de recyclage s’insère dans une volonté plus large de développement durable.
Photos : João Bolan