À 32 ans, il affiche, entre autres, « président du Conseil National du Numérique » et « directeur général adjoint de BETC Digital » (une agence marketing filiale du groupe Havas) sur son CV. Nous avons rencontré ce petit génie qu’est Mounir Mahjoubi… Et nous sommes restés scotchés.
À quelques mètres de la Gare de l’Est s’érige un imposant bâtiment sur lequel sont inscrites quatre lettres : B/E/T/C. Il s’agit de la première agence de communication française, fondée par Mercedes Erra en 1995. Après quelques minutes d’attente, une silhouette ronde s’avance vers moi. Aucun signe distinctif particulier si ce n’est un sourire qui apparaît très vite. Sourire qui, dès lors, sera éternellement associé au visage du sacré bonhomme qui le porte. Voici donc en face Mounir Mahjoubi, le directeur général adjoint de l’agence.
Mounir est né en 1984 dans le 12ème arrondissement de Paris, de parents immigrés marocains. Sa mère est femme de chambre et son père peintre en bâtiment. « Un métier assez banal pour les immigrés de cette époque-là ». Il est le deuxième d’une fratrie de 3 enfants. La petite famille s’établit aux alentours de Reuilly Diderot, un quartier assez cosmopolite. « À un moment donné, mes parents ont voulu déménager dans un immeuble un peu plus ‘classe’… On s’est donc retrouvés à 5 dans un 35 m2, mais l’important était de vivre dans cet immeuble » lâche-t-il, en riant de son anecdote. « Mes parents avaient très peur de ce qu’on leur racontait de la banlieue, ils s’imaginaient qu’on allait mal tourner donc ils préféraient ces conditions dans Paris… Ils étaient paranos avec ça ». « Pour moi, ça ne me posait pas de problème. Depuis tout petit, je suis de nature très optimiste ». Tous les samedis matin, le petit Mounir va donc à la bibliothèque. Très ouvert, il parle à tout le monde, mais son insouciance lui vaut une mise en garde de la part de ses parents. Sa passion pour la bibliothèque n’a rien d’étonnant, Mounir se décrit volontiers comme « le cliché du premier de la classe à l’école ». Au collège les choses se compliquent un peu, l’ado victime de plusieurs agressions doit changer d’établissement. Il est désormais élève du collège Hélène Boucher (Paris XXème). Les rapports avec ses camarades sont tout de suite plus faciles, mais la concurrence est plus dure. Et c’est surtout à ce moment que le jeune garçon découvre une nouvelle passion. « Tous les week-ends, le samedi et le dimanche, je vais au Palais la Découverte… Et là… J’y découvre Internet ! C’était le premier centre d’internet gratuit. J’ai facilement passé tous mes week-ends là-bas, pendant 3 ans ». Tout comme à la bibliothèque, il retrouve son univers de prédilection. « J’adorais lire Science & Vie junior, j’ai même gagné un prix de jeune inventeur que le magazine organisait ! J’ai gagné 5000F à l’époque. J’y ai également découvert l’existence d’Internet et j’ai même acheté mon premier ordinateur avec l’argent du prix ». Immédiatement à l’aise avec l’outil, il décroche à 16 ans un poste chez Club Internet. Voilà ce qui sera son premier job étudiant, après que sa sœur l’a recommandé auprès de l’entreprise, cherchant des autodidactes pour travailler en tant que techniciens. Un boulot dans lequel il s’est investi tous les samedis et les dimanches. « C’était incroyable, à 16 ans, je gagnais déjà 1000 euros par mois. Mon premier salaire, je m’en suis servi pour acheter une paire de Campers. C’étaient les premières chaussures de marques que je me payais !». Ce salaire lui permet également de financer son premier grand voyage. « Je suis parti au Japon en pleine année scolaire -ce qui m’a valu d’être viré du bahut à la fin de l’année de 1ère ». Il effectue sa classe de terminale au lycée Paul Valéry (Paris XIIème), n’est pas beaucoup présent en cours mais obtient tout de même son baccalauréat scientifique à la fin de l’année. En parallèle de sa scolarité, il rejoint le syndicat CFDT de Club Internet et devient délégué du personnel. Un début de conscience politique apparaît alors. Il s’inscrit en licence de droit, ce qui lui permet de s’occuper des différents accords de protection des salariés. La même année, il participe au concours d’éloquence de la Sorbonne. L’apprenti juriste est éliminé en demi-finale mais il se retrouve pris au jeu. « J’attrape le virus de l’art oratoire, de la scénarisation de la conviction, que je trouvais très beau. La deuxième année j’ai refait le concours et je l’ai gagné. Ça a été une excellente motivation pour la suite de mes études de droit ».
Durant toutes ces années, les journées de Mounir semblent exploser les 24 heures. Le petit bonhomme travaillant trois jours et demi par semaine à la CFDT, un jour et demi à la fac et le week-end à Club Internet. « Cette expérience à la CFDT m’a rappelé les 8 ans du centre d’appel, lorsqu’on parle avec les gens. Avec les ‘vrais gens’, cela nécessite d’adopter une posture d’humilité, d’écouter. Ça te donne le sentiment d’être utile et ça développe chez toi des capacités d’écoute très rares quand tu es dans le cocon universitaire. J’ai d’ailleurs conseillé à ma petite sœur, toujours étudiante, à le faire. Pour moi l’engagement, quelqu’il soit, est vital ». En 2003, il rejoint le Parti Socialiste et l’UNEF. Un engagement qui n’est bien sûr pas étranger à son activité de syndicaliste. « Pour moi c’était cohérent » explique-t-il.
Lors de son année de maîtrise il s’engage dans la campagne présidentielle de 2006 aux cotés de Ségolène Royal, dont le fils, Thomas, est dans la même université. « Je lui dis : j’ai appris que ta mère veut être candidate, je veux la soutenir et j’ai un pouvoir secret que je peux mettre à votre disposition ». Ce pouvoir secret, c’est (vous l’aurez deviné) Internet. Un peu plus tard d’ailleurs, ce pouvoir lui servira comme porte d’entrée la campagne de Francois Hollande. Il créent alors tous deux la Ségosphère, un mouvement de jeunes soutiens à la candidate, très actifs sur Internet. Il réussit le concours Sciences Po l’année suivant la défaite de Ségolène Royal face à Nicolas Sarkozy.
En 2007, il obtient une bourse et s’envole pour les États-Unis afin d’étudier la campagne Obama-Clinton. Il anime également la maison française de la faculté. « Une chose qui m’a beaucoup marqué, c’est que pour les Américains, j’étais Mounir The French. Il n’y avait aucune ambiguïté sur ça. C’était pas Mounir l’Arabe, et ça m’a rendu puissant ». Le « Frenchie » y découvre par ailleurs une vie électorale beaucoup plus active et une culture de l’engagement beaucoup plus présente que celle qu’il a pu voir en France. « Ici on a des campagnes éléctorales hyper controlées ! Pendant la campagne de Hollande, on a fait le porte à porte, mais je pense qu’on peut aller plus loin, laisser les clefs aux supporters. On ne leur fait pas assez confiance… C’est un mélange de peur et de volonté de contrôle ». De retour en France il termine son année à Sciences Po. « Quand tu perds une campagne, il se passe un truc terrible, tout le monde se retrouve au chômage, chacun retourne à ses activités, on essaye de se relancer, moi j’ai eu un peu chance avec le départ aux USA, mais en fait c’était le blues total ».
Un peu perdu, la fin de l’année approchant, il doit trouver un stage. Il en décroche un chez l’Oréal. Le groupe l’a repéré lors d’un concours d’éloquence à Sciences Po, il intègre donc une équipe chargée du marketing international de l’enseigne. Après la fac de droit, la CFDT, la campagne électorale, c’est un nouvel exercice qui s’offre à lui. « La finalité, c’est de convaincre » résume-t-il. « Il n’y a rien de plus beau ». Au terme de son stage, il ne se retrouve pas dans ce que le groupe lui propose. Après quelques semaines de vide, Mounir retourne à sa première passion, Internet. Et un matin il croise un ancien ami qui lui présente son compagnon de l’époque, Marc David, qui dirige une agence web. Ce dernier lui propose de le rejoindre. « J’avais un nouveau bureau, avec des gens sympas autour de moi, dans lequel j’ai pu développer un nouveau projet perso. C’est à ce moment-là que je crée Mounir & Simon. Je croyais très fort que les gens n’allaient pas me prendre au sérieux si le truc s’appelait Mounir Consulting ou autre, j’ai juste associé mon prénom à celui de mon jeu de société préféré, le Simon». Il a désormais deux choses en tête : trouver des missions de conseils et créer ses propres innovations. Il rencontre dès lors un grand nombre de start-up et décroche une collaboration avec Google qui cherchait justement une agence pour les aider à travailler leur rapport avec les start-up françaises. Il crée alors le Startup Café, une plateforme qui propose des conseils aux entrepreneurs.
À la suite de quoi il décide de créer sa propre structure avec Marc David, en marge d’un événément conscacré aux entrepreneurs qu’il avait l’habitude d’organiser. Approché par un jeune porteur de projets prénomé Guilhem, ce dernier lui propose de mettre directement en relation les producteurs et les entrepreneurs. Le jeune homme leur fait part du fait qu’il recherche un accompagnement technique. Un soutien que Mounir et Marc sont en mesure de lui apporter. « Le matching valeurs-compétences-idées était parfait ! ». Après quelques réunions, La Ruche qui dit Oui ! voit alors le jour. La petite équipe se donne donne du temps pour mettre en place le projet et lever des fonds. Il finissent par trouver deux bienfaiteurs : Xavier Niel et Marc Simoncini. « Pour la petite histoire, la première version de la platerforme a été réalisée en Mongolie, avec une équipe de développeurs que j’avais rencontrée quelques années plus tôt lors d’un voyage ». Mi 2011, la première ruche -actuellement la plus grosse de France- est montée à Paris, dans le Xème arrondissement. Elle compte aujourd’hui 200 familles inscrites.
Toujours engagé en politique, Mounir soutient Francois Hollande dans sa campagne victorieuse pour les primaires, ce qui ne lui permet plus d’assurer de manière opérationnelle la ruche. Il encadre ainsi la partie digitale de cette campagne, sous la direction de Vincent Feltesse. À l’annonce de la victoire, il se retrouve dans un premier temps en charge de la période de transition, puis fait la rencontre de Mercedes Erra et rentre chez BETC en tant que directeur du développement au début de juillet 2012. En 2014, il en devient le directeur général adjoint.
Quelques temps plus tard, au mois de janvier 2016, le premier CNN-um arrive à sa fin. Il est alors nommé par Francois Hollande à la tête de ce comité consultatif chargé d’accompagner l’État dans son passage au numérique. « On a aujourd’hui un terreau de création de start-up qu’on a jamais eu en France, qui est parmi les plus dynamiques du monde. Le problème, c’est que le milieu de la start-up est toujours très uniforme, composé jeunes hommes bien élevés, de classe sociale plutôt aisée et plutôt blancs ». Il reconnaît cependant que l’insécurité économique ne permet pas toujours la prise de risque.
Selon lui, la prochaine grande étape est le passage des PME à l’ère du numérique, avec à la clef de nombreuses créations d’emplois. Depuis juin 2016, il a quitté BETC pour se lancer, avec un associé, dans une nouvelle aventure. Résultat, en septembre 2016 naît Le French Bureau. Un « start-up studio » chargé de créer des nouvelles jeunes pousses qui ont un impact positif sur l’économie des grands groupes, ou en auto-financement. Le Bureau est composé de trois pilliers : Business, Design et Ingénierie. Mais ce Bureau, à qui l’on souhaite une belle route, est surtout incarné par un homme au parcours extraordinaire.
Texte : Abiola Obaonrin et Pegah Hosseini
Photos : João Bolan