En un coup de fil le rendez-vous est pris. D’une voix très posée, Paul nous invite à nous rendre dans son entrepôt situé dans le 13ème arrondissement de la capitale. Et nous voilà, une semaine plus tard dans une véritable caverne d’Ali Baba : fruits, légumes, sucreries et boissons s’étendent sur plusieurs centaines de mètres carrés. Nous nous adressons à l’une des petites mains qui s’activent à la préparation des commandes afin de signaler notre présence. Cette dernière nous indique le fond du bâtiment où une grande mezzanine bleue abritant quelques bureaux, surplombe l’espace. « Installez-vous, je suis à vous dans 2 minutes je finis un coup de fil et je suis à vous ! » nous lâche le maître des lieux.
Paul c’est un peu Willy Wonka de La Belle Vie, une épicerie 2.0, créée en 2016. Si il fallait un entrepreneur atypique, il en est un. Au premier abord, on pourrait penser que le destin de Paul était quelque peu tracé. Pour cause ses parents ouvrent un restaurant à la fin des années 80. Très tôt, il est confronté au lot des sacrifices qu’exige l’entreprenariat. « Ma mère a arrêté de travailler et a géré deux restaurants. Mon père bossait la nuit à l’usine, dormait quelques heures et allait travailler au restaurant et ça a été ça pendant 10/15 ans. Forcément je pense qu’indirectement ils m’ont donné deux notions, l’envie d’entreprendre, de se débrouiller par soi-même, et le goût du travail. »
Le tempérament de Paul se construit surtout sur les bancs de l’école avec un sens de l’engagement précoce. « Je n’étais pas turbulent, toujours sur la limite, mais j’ai toujours eu cette envie de faire avancer les choses, de réunir les gens, résoudre des problèmes. C’est des trucs tout bêtes, j’ai par exemple toujours été délégué de classe de la sixième à la terminale. »
J’avais plein d’idées et je voulais les partager. Forcément, je crois que quand tu as cet état d’esprit, tu deviens politique ou tu deviens entrepreneur.
Très tôt le monde de l’entreprenariat n’a plus de secret pour lui. « J’ai eu Internet dès le collège et indirectement c’est ce qui m’a porté vers qui je suis aujourd’hui. J’ai commencé et j’ai géré mon business. Au début je vendais au collège des choses que j’imprimais moi-même à la maison. Des trucs incroyables. Et après il y a eu les CD-ROM. C’était naturel pour moi. C’est assez drôle quand j’y repense. »
Businessman au collège, Paul se sent noyé dans la masse au lycée. « J’étais fan d’histoire, j’adorais les maths mais je suis allé faire STI parce que tous mes potes y allaient. C’est pour te dire à quel point l’Education Nationale est bizarre. Je pense que c’est spécifique à nos banlieues, il y a tellement de diversité qu’on cherche la moyenne. Les profs veulent tirer les élèves en difficulté vers la moyenne mais n’encouragent pas les plus forts à se dépasser davantage. C’est un système scolaire qui date de cent ans et qui ne fait pas attention à l’évolution de la société. Ce n’est pas adapté. »
Le déclic
Après s’être laissé porter le temps d’un DUT, le jeune Évryen intègre une licence en « Marketing et Internet », la première du nom en France. « J’adorais Internet, j’aimais bien le business. J’arrivais dedans et je cartonnais. C’est la première fois de ma vie que j’étais bon à l’école. A partir de là je me suis vraiment passionné pour le business en ligne. »
Il découvre un monde qui le passionne et le fascine. A cette époque, les premiers gros noms d’Internet dévalent en France comme aux Etats-Unis. Amazone, Multimania, Nikos, Auckland, autant de jeunes strucures qui suscitent son intérêt. Les Etats-Unis l’attirent, et en 2004 il fait sa rentrée dans la prestigieuse UCLA (Université Californienne de Los Angeles).
Je suis parti de l’école à Evry aux Pyramides et je suis arrivé dans l’une des meilleures universités américaines. Tout est possible là-bas quand tu as envie de réussir. Si tu es gaucher tu es gaucher et ils ne vont pas t’obliger à tirer du pied droit. Il y a tellement d’opportunités aux States !
De retour en France, le cœur lourd, le frenchy ne se démonte pas et se lance dans l’univers des start-up. « Je faisais bien mon boulot mais je me laissais vivre. J’avais travaillé dans deux boîtes, il n’y avait plus rien qui m’inspirait, j’avais l’impression de tout connaître. »
A 29 ans, Paul fait le grand saut et crée sa première entreprise : 03 July, le jour de son anniversaire. Une entreprise de développement d’applications. Les idées il les a. Des applications de service, basées sur la géolocalisation de restaurants (Hungrynow), puis de stations-service (Gazolenow) et enfin des distributeurs de billets (Cashnow). » j’ai sorti 3 applications mobiles, la première les deux premiers jours a été propulsée par Microsoft dans le monde entier. La une aux Etats-Unis, j’ai quasiment fait 100.000 téléchargements! »
Un succès rapide, presque inattendu. Même si ses applications sont encore leader aujourd’hui dans leurs domaines respectifs, Paul et 03 July s’essoufflent. « La 3ème année est devenue un peu plus dure parce qu’on recherchait des fonds. C’est aussi là où j’ai commencé à me frictionner avec mon ancien associé. Différence de point de vue, différence d’ambition, différence de vision. »
Seulement un mois après avoir mis un terme à son premier business, il crée Deleev, la maison mère de La Belle Vie. C’est un de ses anciens associés et business angel qui lui propose ce nouveau projet. « Il m’a présenté l’idée et j’ai dit ok. Je voulais une idée sur un marché qui a une profondeur. Et la bouffe, il n’y a rien de plus profond, c’est illimité.»
La Belle Vie
La Belle Vie c’est une épicerie 2.0 qui livre des ingrédients rapidement. « Mon associé aimait beaucoup cuisiner. Avoir un accès aux bons produits rapidement c’est impossible. Je lui ai dit que ce serait tellement bien d’avoir un bouton, ou un site qui permet de te faire livrer tes recettes de cuisine et toutes tes courses en un clin d’œil”
Les premières livraisons datent de juin 2015. Il aura donc fallu 6 mois à Paul et ses Oompa Loompa pour mettre en place La Belle Vie. Avec cette entreprise, leur projet prend une autre dimension. Très vite leurs compétences dans la tech ne suffisent plus. “On a commencé à comprendre qu’on n’était plus des mecs de la Tech, mais des logisticiens. C’est quelque chose de plus concret. C’est des étagères, mettre des poires dans des sacs, acheter les bons sacs… »
Mai 2018, La Belle Vie lève 5 millions d’euros. Evénement dans lequel, celui qui apparait désormais comme l’un des outsiders les plus importants du petit monde de la « food delivery » ne voit aucune finalité. « Tu veux devenir numéro 1 il faut aller plus vite. Pour aller plus vite il faut de l’essence, et l’essence c’est de l’argent. »
Aujourd’hui La Belle Vie peut être satisfaite de sa croissance toujours constante et de son modèle économique devenu rentable dans un domaine où il n’est pas toujours évident de s’imposer. La clientèle est fidèle et le business déjà solide.
La belle vie selon Paul
Photos : Lance Laurence