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Des couleurs douces, des coupes minimalistes, un univers presque poétique, à première vue ce n’est pas l’idée que l’on se fait d’une marque de streetwear baptisée « Égérie des Cités ». Pourtant, il suffit de discuter trente secondes avec son fondateur pour comprendre le contre-pied. Le naturel discret, le ton monocorde et le regard presque fuyant, qui le caractérisent aux premiers abords, contrastent immédiatement avec la détermination de son discours.

Débarqué à l’âge de six ans en région parisienne, après un passage par Strasbourg. C’est au Ghana que le petit Prince voit le jour, plus précisément à Nawsam, une petite localité située dans la périphérie de la capitale Accra. Quelques années avant sa naissance, le patriarche qui se destinait à l’Angleterre ou aux Etats-Unis, pays dans lesquels la diaspora anglophone issue de l’ancienne Gold Coast est beaucoup plus présente, posait ses valises dans l’hexagone. « Mon père était ouvrier, il travaillait dans une usine de métallurgie à Strasbourg, puis il est devenu pasteur. C’est ce qui nous a amenés à venir en région parisienne, à Garges puis à Pierrefitte-sur-Seine, lorsque j’avais six ans. »

En 2007, le troisième enfant de la famille Osei fait son entrée au collège Lucie Aubrac. À la maison, ses ambitions professionnelles n’ont pas trop la côte. “On m’a presque interdit de rêver de mes envies, on me ramenait tout de suite à des métiers plus classiques.En classe de 5e, il croise la route de Madame Kounkou, sa nouvelle prof d’art plastique. L’enseignante, directrice artistique dans une autre vie, prend immédiatement les aspirations créatives du jeune homme au sérieux et lui prodigue les premiers conseils.

À l’âge de 15 ans, changement de décor, toute la famille retourne à Strasbourg et prend ses quartiers dans l’est de la ville, à Cronenbourg. L’adolescent commence à fréquenter le centre socio-culturel du coin et se prend d’admiration pour Omar, un prof de boxe sexagénaire bénévole. Il se jette alors corps et âme dans le noble art, à tel point qu’il entrevoit même un avenir professionnel. Fin 2018, il décide de se lancer. « Je me préparais à commencer la compétition et je me suis blessé à l’épaule. Elle était vachement endommagée. Mon bras se déboîtait quand je marchais dans la rue. Je me suis fait opérer à Aulnay. » Entre temps, l’ex-futur boxeur fait son retour en banlieue parisienne, il a été accepté dans un BTS et trouve refuge chez une tante, à Sevran. Ses journées se partagent entre les cours, la salle de boxe où il entraîne désormais les plus jeunes et Pierrefitte où il rend visite à ses proches.

Une routine parfois interrompue par des escapades, à Lyon où il rend visite à ses cousins. Elijah et Elisha, respectivement architecte et footballeur en devenir, mais avant tout passionnés de mode. Leur style vestimentaire, atypique, jure à Vaulx-en-Velin. “Ça n’avait pas l’air de leur poser problème. Ils faisaient du skate et rentraient dans la cité avec. Ça faisait rire les gens !
Une attitude dénuée de tout complexe qui l’inspire et lui donne des idées. Cependant, le déclic lui viendra d’une autre rencontre.
Au printemps 2019, l’équipe décide d’entreprendre un roadtrip qui les emmène de Lyon, à Milan en passant par le sud de la France, accompagnés d’Harry un ami proche de la famille.

« Harry travaillait, mais ne parvenait pas à évoluer dans sa carrière. Il était jeune, s’exprimait et présentait bien. Mais sa couleur de peau était un obstacle, surtout en province. Un jour, il s’est dit qu’il allait se mettre à son compte. Probablement dans un business de restauration de sneakers. Un mois plus tard, il s’était déjà lancé. Là, je me suis dit, “le mec dit un truc, il le fait ». Ça m’a grave motivé”. Animé depuis son enfance, par le désir de créer sa propre marque de vêtements, il décide de sauter le pas. “J’avais déjà le nom en tête. Il était même dans ma bio Instagram parce qu’un rappeur avait déjà lâché cette punchline « Je suis l’égérie de mon quartier. » Ça faisait écho à ce que je vivais à l’époque, je poursuivais mes études et je voyais le regard des gens changer. Je ressentais beaucoup de fierté dans leurs yeux.

À l’automne 2019, le projet prend enfin forme. L’objectif est de casser les codes du style des quartiers, tout en s’ouvrant à d’autres inspirations. Côté business, le jeune créateur se heurte vite aux réalités de l’entrepreneuriat. « Tu n’es pas sûr que ça va marcher. Tu passes énormément de temps dans ton activité, tu vois de moins en moins tes gars et ça implique beaucoup de sacrifices financiers. Au moment où les autres investissent dans l’achat d’un appartement, toi tu mets tes sous dans ton business sans être sûr que ça fonctionne un jour. »

Quelques mois plus tard, le premier produit est lancé. Un hoodie édité en une cinquantaine d’exemplaires, qui se vend un temps record. S’ensuit la toute première collection. Le t-shirt “Ange”, sur lequel deux chérubins se font face, rencontre également un franc succès. Autre tournant créatif, la sortie d’un blouson en cuir et des pièces en jean plissé. « On a utilisé des matériaux nobles et il y a eu un vrai travail artisanal. Le développement était passionnant et c’est devenu un vrai accomplissement pour toute l’équipe. »

Les premières victoires s’accompagnent d’une volonté de rester en lien avec la communauté et de représenter. A la rentrée 2022, à travers le lancement de l’initiative “EGDC Education Project” destinée à promouvoir l’éducation et l’art dans les quartiers populaires, une centaine de cartables et de fournitures est distribuée à des écoliers.

Cette dynamique symbolise le cercle vertueux, entre inspiration et motivation qui a toujours animé ce doux rêveur, qui tel un papillon était bien déterminé à sortir de son cocon.

Crédit photo : Zacharie Bizimana / Argot