Les habitants du 18ème arrondissement de Paris, où le premier Tati a vu le jour, ainsi que les salariés, s’inquiètent de voir disparaître l’enseigne. Et pour cause : une banque d’affaire a été mandatée par le Groupe Eram pour vendre sa filiale Agora Distribution – dont la principale activité est constituée des 140 magasins Tati, et qui détient également les enseignes Giga Store, Degrif’Mania et Fabio Lucci.
Fondée en 1948 par Jules Ouaki, le magasin qui ne faisait qu’une cinquantaine de mètres carrés s’étend aujourd’hui sur 2800m2. Situé au croisement des boulevards Rochechouart et Barbès, la boutique, réputée pour ses habits bon marché est en passe de vivre ses dernières heures. Finie l’époque où Rim-K du 113 « dévalisait tout Tati pour rassasier tout [son] village ». Aujourd’hui ce sont quelques habitués qui continuent à venir faire leurs courses comme le souligne Sonia, une mère de famille qui vit dans le quartier de la Goutte d’Or. « Quand j’étais petite, ma mère nous achetait toujours des vêtements pour la rentrée dans ce grand bazar. Elle revenait les bras chargés de grands sacs roses vichy. On n’avait pas beaucoup de moyens et c’était pas cher. Aujourd’hui, je viens surtout acheter des produits d’entretien pour la maison, du shampoing et des jouets pour Noël. C’est un peu moins cher qu’en grande surface mais les prix ont augmenté ». Quant à Martine, elle fait le trajet depuis le 13ème arrondissement, où elle vient d’emménager : « Il y a un Tati près de chez moi, mais ici c’est pas pareil, c’est plus sympa, il y a une vraie ambiance ». Après avoir passé plus de vingt cinq ans dans le 18ème, elle se dit triste à l’idée de ne plus voir son magasin dans lequel « elle trouve tout ». « Tati c’est l’âme du quartier » dit-elle. « Tout le monde connait ce magasin. On a grandi avec. Et s’il ferme, on mettra quoi à la place ? » s’inquiète la parisienne.
« Aujourd’hui ça fait vieillot»
Franck, lui ne mâche pas ses mots. Attablé à la terrasse de la Brasserie Barbès, symbole de la gentrification du 18ème, ce gérant d’une boutique de robes de mariées nous livre son sentiment : « Ici, tout est en train de changer, ça reste populaire mais les enseignes évoluent. Une grande brasserie a ouvert il y a 2 ans, avec une terrasse et une déco ultra chic. Les bobo viennent y manger… Y’a même des habitants du quartier qui viennent prendre un verre et se détendre. En face, on a le cinéma Louxor ». Le gérant nous l’assure, « C’est bien là-bas, c’est stylé » avant d’ajouter :« Vous comprenez, Tati, ça fait un peu tâche maintenant dans le coin, ils vendent toujours la même chose. Ça fait vieillot ! » dit-il avec une pointe d’humour. Et pourtant, l’enseigne a tenté de dépoussiérer ses rayons. Exit les bacs avec des vêtements en vrac à l’extérieur du magasin, les doudounes aux couleurs vives complètement démodées. Aujourd’hui, place aux larges rayons dédiés aux cosmétiques et au bien-être. On y trouve même des marques comme L’Oréal ou encore la marque urbaine Sampar à des prix attractifs. Mais « la clientèle ne se renouvelle pas » déplore une vendeuse sous couvert d’anonymat. Pour elle, « c’est l’image même de Tati qu’il faudrait changer ». Certaines clientes se font discrètes quand elles viennent acheter ici. Une fois il y en a même une qui a dit que c’était « kitsch » , soupire la vendeuse.
Primark, Kiabi, H&M, il y a trop de choix
Dans les années 90, lorsque Fabien Ouaki, le fils du fondateur, reprend l’affaire familiale, il tente tout pour diversifier l’enseigne et lui donner un coup de jeune. Il va alors créer Tatie Or, Tati Mariage ou encore Tati Vacances. Et si Tati affirme « habiller une mariée sur cinq en France »*, dans la boutique spécialisée située rue Belhomme à Paris, les clientes ne se bousculent pas. En 2014, la marque au logo couleur vichy rose et lettres bleues fait appel à Chantal Thomas puis en 2015 c’est au tour de Christina Cordula, la styliste brésilienne et animatrice télé, de signer une collection capsule pour Noël. Mais rien n’y fait, en dépit de tous ces efforts, les ventes ne décollent pas et les resultats seront déficitaires. Face aux stars de la mode pas cher comme Primark, Uniqlo ou encore H&M, l’enseigne française ne fait pas le poids. Comme l’explique Christelle âgée d’une vingtaine d’années qui vient acheter des cosmétiques : « Il y a trop de choix. Pour le même prix, je préfère m’acheter un legging chez H&M que chez Tati, la coupe est plus jolie ». Après des années de déficit et une volonté du groupe de redresser la barre, il n’est pas certain que le paquebot puisse être remis à flot.
Par Sabrina Mondélice
Photos : Adam Delguidice
*Source : LSA conso
Quelques chiffres :
1948 : création par Jules Ouaki
1959 : Brigitte Bardot se marie en robe vichy rose et blanc. Les françaises se mettent à adopter le look vichy
2007 : reprise par Eram
2015 : le groupe Eram tente de se séparer de l’enseigne, 1 720 emplois