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Le monde de la nuit a déjà pris ses quartiers lorsqu’on retrouve Ozwald alias « Oz » dans ce premier bar du 11e arrondissement. Large carrure, « le bon stéréotype du grand noir baraque », selon lui. Il plante le décor, « le plus important dans ce métier, c’est de savoir avec qui tu bosses ». 

Premier spot : un bar plutôt sympa rue Victor Gelez. Tables de Ping Pong, thé glacé et ambiance décontractée. Nous sommes au Gossima. À l’entrée, Ismaël fait la sécurité. Doudoune canadienne noire, casquette enfoncée sur la tête, Jordan aux pieds et les épaules d’un mec que tu n’as pas envie d’embêter, ou peut-être juste pour fumer dehors plutôt que dans le fumoir obligatoire. « Ça fait 1 an que je bosse avec Ismaël. On me l’a recommandé. C’est quelqu’un de confiance et c’est ce que je recherche. Ça ne rime à rien de faire 2 mètres et ne pas savoir gérer une situation, faut être à l’aise dans le rapport humain. »

Ozwald a monté sa société Safety Event il y a 5 ans. Aujourd’hui, il a 15 agents de sécurité qui bossent pour lui, 5 en protections rapprochées et 6 agents en boutique. Après des études dans la fibre optique et un « boulot compliqué et pas vraiment payant », Ozwald avait besoin d’arrondir ses fins de mois. « Un jour, un ami m’a demandé de le remplacer en sécu sur Paris. Au début je ne voulais pas, pour moi ça rimait avec poster ou pot de fleurs. J’ai eu tort. J’ai beaucoup appris, sur moi et les autres, grâce à mon entourage professionnel. C’est une grande famille on se connaît tous et il y a une grande solidarité ».

Ce rapport de complicité existe et « il est primordial », insiste Ozwald. Il suffit d’observer et de comprendre comment fonctionne une équipe en boîte. Parce que toi aussi tu as déjà essayé de négocier avec le videur « qui te semble plus cool que les autres », en espérant qu’il te dirait oui à la place de son collègue qui t’a mis un stop à l’entrée ? Oublie, ça ne sert à rien. « S’il y a un membre de l’équipe qui dit “c’est mort”, alors rentre chez toi. La décision est globale. On ne se contredit pas. La première fois que j’ai mis quelqu’un dehors, ça m’a fait mal au cœur. Mais il faut tenir sa position, car nous sommes une équipe. Le risque c’est de se retrouver en porte-à-faux avec ses collègues. Nous avons besoin de cette solidarité entre nous, c’est aussi ça notre boulot ».

Ozwald aime ce qu’il fait et en parle avec passion et générosité. Lorsqu’on aborde les méthodes et attitudes de certains videurs sur Paris, et le lien qu’ils entretiennent entre eux, la théorie du choc des générations fait surface. « Quand on est arrivé dans le milieu, on avait une méthode différente des anciens. On nous appelait les pitbulls. Quand tu grandis en cité tu as d’autres codes, on était plus agressif, plus speed, à l’inverse des anciens qui optaient plus pour la médiation et le calme. Pour le coup, on les surnommait les “pantouflards” ». Mais c’est bien un ancien qui a transmis et appris à Ozwald les clés du métier. « Un jour un agent que je connais a eu une altercation avec un client à la sortie d’une boîte. Il lui a mis un coup, en voulant se protéger. Le client est mal retombé. Aujourd’hui il est tétraplégique. Avec cette sale histoire, ça nous a tous servi de leçon. C’est lui qui nous a éduqués et transmis les bonnes attitudes à avoir. Nous sommes agent de sécu, mais faut pas oublier le coté humain ».

Il est minuit passé, changement d’ambiance à Paris. Le Gossima se vide tranquillement. Ismaël gère la fermeture et les deux trois clients ivres.

Direction le deuxième spot de la soirée, « je vais à La Mano maintenant, retrouver une autre équipe à moi pour la nuit ». Plus de monde à l’entrée, une autre fréquentation et surtout une plus grosse équipe. Ils sont 3 videurs et un physio, « celui qui décide si tu rentres ou pas ». Ici c’est Loom qui s’en charge. Casquette noire, dernière paire de Nike x Off White, l’allure distinguée. Bienvenue à La Mano. « Je connais Oz depuis petit. On a grandi ensemble, dans le 18e. Chacun a avancé de son côté et aujourd’hui ça fait 10 ans que je suis dans la sécu ». Pour Loom, « qui dit sécu, dit sport de combat » et donc même salle de boxe pour la plupart des videurs de la capitale. Ils se connaissent tous et ce n’est même pas un secret « c’est la famille ». 

2 h 30 du matin, le premier « bourré de la soirée ». Un client un peu trop ivre pour comprendre qu’on ne se la joue pas tactile ni familier avec les videurs. « Tu as été impoli », lui lance Ozwald. Le dialogue est créé, la technique est bien rodée pour apaiser le climat. De l’autre côté, le collègue prend une série de photo du client pour le déstabiliser. Aucune discrétion, juste une bonne vielle technique pour dissuader le client d’aller trop loin. En revanche, « si j’ai un problème avec un gars ici, j’envoie une photo du client à tout mon réseau sur Paris, et demain le gars ne rentre plus nulle part », nous confie Loom. En tant que physio c’est parfois plus conflictuel avec la clientèle, « on se fait menacer », alors mieux vaut avoir une équipe en qui tu as confiance. « Si tu ne t’entends pas avec ta sécu, t’es mort », ajoute Loom.

Pas de doute, ce soir l’équipe est bien soudée, ça se marre et se raconte leur vie. « Quand tu as la bonne team, tu passes une meilleure soirée. Mine de rien c’est un métier obscur, c’est mieux si t’es bien entouré », nous lance le physio avant d’aller mettre un stop à un client trop bourré pour l’autoriser à entrer. À les voir bosser toute la nuit, filtrer et gérer les clients, s’assurer de leur sécurité, même à la sortie de boîte, on se dit que cette grande famille n’est pas si inaccessible que ça. Sous l’étiquette de l’autorité, on retiendra surtout l’aspect familial des « frangins » qui veillent sur la jeunesse insouciante en assurant aussi les arrières de leurs frères d’armes.

Photos : João Bolan