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Dans les couloirs de Radio Nova, nous avons discuté un moment avec Yassine Belattar. L’humoriste, producteur et animateur de radio est un homme qui n’a pas la langue dans sa poche, mais il nous décrypte l’actualité avec tact et intelligence.

*Argot : Tu as commencé la radio à l’âge de 10 ans dans les Yvelines (78), tu as eu une carrière très riche depuis. En tant que jeune issu de la diversité, ne te sens-tu pas un peu seul dans le monde des médias ?

Non pas vraiment, parce qu’il y en a beaucoup. Il y a beaucoup de rebeus et de renois, il faut être plutôt sincère dans le diagnostic. Tu le vois bien à Nova, il y a un mélange. Le fait d’essayer de les comptabiliser est déjà un mauvais signe car c’est le talent qui t’emmène là où tu dois être. Pas ta couleur de peau. Moi je me sens seul par rapport aux idées que je défends, mais je ne peux pas reprocher aux gens de ne pas vouloir s’engager.

Oui, mais si on faisait une photographie du monde des médias à l’heure actuelle, on se rendrait vite compte qu’il n’est pas forcément représentatif de la diversité de la population française…

Le monde des médias n’a pas vocation à être représentatif, je pense que, oui, il faut des gens issus de la diversité dans les rédactions, dans les chaînes de télé, dans les journaux. Mais c’est en réalité des cycles très très longs. Il suffit qu’un type se comporte mal pour que ça jette l’opprobre sur les cent mecs qui postulent derrière. C’est pas facile, ce qui manque à certains, c’est l’exemplarité qui fait que ça ouvre des portes à d’autres. On sait pertinemment qu’il faut être exemplaire. Nos parents nous le disaient quand on était petits. Il faut être à la hauteur. Quand un rebeu ou un renoi passe entre les mailles du filet, il faut que, de par son comportement, il puisse ouvrir des portes. C’est une succession silencieuse.

Tu disais ne pas vouloir comptabiliser les gens issus de la diversité évoluant dans ce milieu là, es-tu opposé au concept de « discrimination positive » porté actuellement par certains candidats à l’élection présidentielle ?

À partir du moment où tu imposes quelqu’un cela veut dire que ton système n’est pas très démocratique. C’est toute l’ambiguité de la discrimination positive. Même pour toi-même il est important que tu te dises « je suis là pour de bonnes raisons et pour mon talent ». Être rebeu ou renoi, c’est pas un métier, c’est une donnée. J’ai suffisamment foi dans le métier qui est le nôtre pour que les choses changent. Dans les rédactions, beaucoup veulent « qu’il y ait plus d’Arabes et de Noirs ». À part certains médias comme Le Figaro – qui eux revendiquent le fait de ne pas être mélangés, la plupart de ceux que je côtoie à Libération ou Le Monde sont d’ailleurs en quête de journalistes. Le problème, c’est que ce sont des mondes parallèles. Comment croise-t-on ces gens-là ? Alors, des mecs comme moi sont là pour faire des ponts. Mais lier ça à la discrimination positive et prendre les gens juste parce qu’ils sont Arabes ou Noirs c’est pas sympa pour ceux qui se lèveront le matin en se disant : « je suis là de par ma couleur de peau ». Si je suis contre le mariage forcé entre une homme et une femme, je suis contre le mariage forcé entre la banlieue et les médias.

Tu as plusieurs fois employé le mot « talent », nous, chez *Argot, on est beaucoup attaché aux talents de l’entreprenariat. Et toi, en 2011, tu as participé entre autres à la création d’un chaîne de télé : Numéro 23

Numéro 23, c’est en fait un scandale d’état. C’est la fusion de deux projets qui devaient pouvoir nous garantir de faire de l’antenne avec des gens issus de la diversité, du moins au sens culturel. Il se trouve que Pascal Houzelot, coutumier du fait, a tout simplement préempté l’antenne. Aujourd’hui, il cherche à la vendre. Je suis très fier d’avoir été rejoint par beaucoup de députés qui disent que s’il y a transaction, il y aura alors un problème étatique, car cela aura causé du tort à la diversité. Par ailleurs, je ne me vois pas comme un artiste, locataire de sa carrière. Je suis propriétaire de mes décisions, donc je suis propriétaire de ce que je dois faire. J’ai contribué à la création d’une chaîne TNT, j’ai acheté un théâtre, je fais beaucoup d’affaires à longueur de temps et je ne peux pas me permettre d’attendre que mon téléphone sonne pour pour qu’on me propose du travail. Je crée mon propre travail. C’est peut être le seul talent que j’ai mais c’est moi qui décide de ma propre feuille de route. Et j’essaye le moins possible d’avoir des intermédiaires, car avoir des intermédiaires c’est se mettre dans une position d’attente. Après, certaines personnes sont très heureuses qu’on leur donne un salaire, un peu comme un fonctionnaire. Mais pour moi, un artiste ne peut pas être un fonctionnaire. C’est un autre état d’esprit. Le fait d’être entrepreneur et artiste doit pouvoir susciter des ambitions…

Si tu devais donner des conseils à un petit frère qui souhaiterait lancer son propre média ?

Entreprendre, c’est une vrai nature. On parle beaucoup des grands, mais la plupart sont des petits entrepreneurs. Entreprendre, c’est beaucoup de risques. Financiers, tu peux perdre ta chemise à chaque fois. Tu seras le dernier payé. Il y a beaucoup de gens qui l’oublient. La réalité c’est que la France nous a toujours dit, à nous les gens de banlieues, qu’on ne pouvait pas être nos patrons. Il faut briser ce plafond de verre. À partir du moment où tu travailles dur tu n’as pas d’autre choix que de devoir donner cette énergie à d’autres. Si quelqu’un devait m’écouter, je lui dirais pas de créer sa boîte pour créer le plaisir qu’on dise : « tu es un patron », fais-le parce que tu as envie de pouvoir donner l’opportunité à d’autres de s’élever. Souvent, il y a des mecs de banlieues qui deviennent entrepreneurs, mais par manque d’éducation entrepreneuriale, ils échouent rapidement.

Au-delà de la portée économique de tes actions, tu es également engagé politiquement. En 2011, lors des précédentes élections, tu as lancé une opération « Vote Tout Terrain », dont le but était d’encourager les jeunes des quartiers à aller voter. Lesquels s’estiment aujourd’hui trahis par celui pour qui ils ont majoritairement voté. Serais-tu prêt à le refaire aujourd’hui ?

Je n’ai jamais de regrets sur ce que je fais. Aux deux dernières élections il y avait un ennemi commun. C’est-à-dire dire Sarkozy. Aujourd’hui, j’ai pas les moyens de dire aux jeunes « on va voter contre ». À 35 ans, j’espère pouvoir dire aux jeunes « on va voter pour quelqu’un ». Il y a un électrochoc que moi j’ai vécu en 2002. En 2017 c’est la même, voire pire. Je suis pour le vote obligatoire et la reconnaissance du vote blanc. Je pense que d’offrir l’opportunité à des gens de passer à côté de l’histoire de leur pays, c’est en faire des citoyens de seconde zone. Je n’aime pas l’expression « clientélisme », mais voyez la plupart du temps en banlieue, le maire ne s’adresse qu’à des gens qui votent pour lui. Que ce soit à droite ou à gauche je suis pour le fait que tous les mecs de banlieue votent.

Sur une note plus hypothétique  quelle serait la première mesure que tu prendrais si tu étais élu président de la République?

Je suis déjà un homme politique. Ce que je fais, c’est de la politique. Je crois pas au système d’un président de la République, au sens premier. J’ai des ambitions politiques, mais en tant que mécène. En tant que financier. C’est moi que ça engage. Mais ayant eu l’opportunité de beaucoup voyager, de par ma culture, l’idée est de rassembler sur un projet de société commun. Donc le vrai truc qui m’intéresse, c’est de savoir pourquoi il y a des marginaux. Comment des hommes politiques peuvent nous faire croire qu’il est normal de stigmatiser une partie de la population. C’est la gauche qui a détruit moralement la France là, à travers Valls, c’est même pas la droite.

Si tu devais résumer ce quinquennat en quelques mots ?

Je pense que Hollande n’a pas pu gouverner comme il le souhaitait. Je ne dis pas qu’il a fait que des bonnes choses. Je ne lui pardonnerai jamais la déchéance de nationalité, par exemple. Je pense que c’est la fin d’une génération politique. On a des politiciens qui ne comprennent plus où en sont les Français. Ce qui fait que des gens se tournent vers Macron ou Le Pen. On est dans un système de rupture. Un mec comme Valls, qui a été extrêmement violent avec les Français, n’a pas compris que les citoyens n’en ont plus rien à faire du système politique. Le pouvoir politique est en retard.

En tant que journaliste, tu disposes indéniablement d’un pouvoir, celui d’informer. Comment l’utilises-tu aujourd’hui au quotidien, comment matérialises-tu ton discours ?

Je suis un artiste. J’ai juste une palette un peu plus large que celle des mes camarades. Thomas (son associé, NDLR) et moi, nous sommes journalistes de formation. Mais l’humour, c’est mon arme. Et ce que j’espère, c’est de solliciter une réflexion. Pour moi, même les racistes ont leurs idées, à moi de les emmener sur le terrain de la réalité. Comment veux tu écouter le Front National ? Nous sommes déjà un mélange.

Quelle serait la définition de la débrouille ?

Il y a un champs lexical, qui était le mien avant, mais qui ne l’est plus. Je ne dis pas que je suis le plus talentueux de ma génération, mais en tout cas j’estime être l’un des plus bosseurs. Il faut éviter les mots qui nous lient à l’amateurisme, c’est très important. Je suis autodidacte, je n’ai pas de diplômes. Par contre je travaille dur tous les jours pour combler ce manque-là. Souvent ce que je dis aux humoristes que je produis : « quand toi tu dormais, j’écrivais déjà ». Je ne sors pas ou très peu. Aussi parce que j’ai des enfants. Je souhaite que les banlieusards aient un champs lexical beaucoup plus élogieux sur leur réussite que celui de la débrouillardise. Ça nous limite. C’est pas la débrouillardise qui fait qu’on réussit, c’est le travail. Il faut prendre confiance sur ce qu’on est.

Tout cela ne relève-t-il pas plus d’un processus d’identification inexistant ?

On me dit souvent :  « Yassine, tu représentes la banlieue ! » Non. Je représente pas la banlieue, c’est elle qui m’a construit mais aujourd’hui j’estime être devenu un bourgeois. J’ai pas de problème à le dire parce qu’ils savent qui je suis. Il y a 15 ans j’étais à Génération, si j’y étais encore aujourd’hui, mon public aurait sans doute stagné. Ca n’a pas pas été facile parce que c’est une radio qui est chère à mes yeux. Mais je dois une progression aux gens de banlieue. Aujourd’hui, ils sont contents que je sois dans une radio comme Nova ou que j’ai fait de la télé.

Aujourd’hui si tu devait partager un grec avec une personnalité, vivante ou morte, laquelle choisirais-tu ? Et pourquoi ?

Je mange pas de grec déjà ! Donc je ne partagerai pas de grec. Mais assurément avec Coluche. C’est l’un des artistes qui m’a donné envie de faire ce métier. Ma vrai interrogation, c’est comment fait-on pour garder un cap ? Même quand tu crois que t’as tort, comment fais-tu pour continuer d’écrire ? Car j’ai souvent eu des moments de doute… C’est marrant parce que certains disent aujourd’hui que c’est le grand retour de Yassine Belattar. C’est assez impressionnant, parce que j’étais jamais parti.

Par Abiola Ulrich Obaonrin.

Photos: Lance Laurence